PREMIÈRE SECTION

 

 

 

 

 

 

AFFAIRE TZEKOV c. BULGARIE

 

(Requête no 45500/99)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

 

 

STRASBOURG

 

23 février 2006

 

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire Tzekov c. Bulgarie,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

          MM.  C.L. Rozakis, président,
                   L. Loucaides,
          Mme   F. Tulkens,
          M.     P. Lorenzen,
          Mmes  N. Vajić,
                   S. Botoucharova,
          M.     D. Spielmann, juges,

et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 février 2006,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45500/99) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Tzeko Asenov Tzekov (« le requérant »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 26 septembre 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant est représenté par Me Y. Grozev, avocat à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son coagent, Mme M. Pacheva, du ministère de la Justice.

3.  Le requérant alléguait qu’il avait été blessé par balle par un policier, en violation des articles 2 et 3 de la Convention. Au regard des mêmes dispositions, il soutenait qu’une enquête effective n’avait pas été menée et que l’Etat défendeur avait manqué à son obligation de protéger le droit à la vie et à l’intégrité physique par une réglementation appropriée.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  Elle a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement).

6.  Par une décision du 9 septembre 2004, la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

7.  Le 1er novembre 2004, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la première section ainsi remaniée (article 52 § 1).

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8.  Le requérant est né en 1976 et réside à Vidin. Il est ressortissant bulgare d’origine rom.

A.  Les événements survenus le 27 août 1996

9.  Dans la nuit du 26 au 27 août 1996, vers 4 heures 50 du matin, le requérant et un de ses amis, M., également d’origine rom, circulaient sur la route périphérique de Vidin dans une charrette tractée par un cheval. La charrette était remplie de maïs qu’ils venaient de voler dans un champ.

10.  A une intersection, ils croisèrent une voiture de police qui s’arrêta devant eux. Un policier leur fit signe de s’arrêter.

11.  La patrouille de police, composée de deux agents, les sergents S. et G., s’était rendue dans un village des environs suite à une bagarre. Un des responsables avait été arrêté, un autre avait réussi à prendre la fuite. Les policiers étaient sur le chemin du retour vers Vidin lorsqu’ils aperçurent la charrette du requérant. Selon le rapport établi par le sergent G. à l’intention de ses supérieurs, la présence de la charrette à une heure tardive de la nuit leur avait paru suspecte et ils avaient décidé de procéder à un contrôle d’identité.

12.  Néanmoins, M., qui dirigeait la charrette, poursuivit sa route en accélérant l’allure. La voiture de police les suivit en roulant à une distance d’environ dix mètres, gyrophare allumé. Le sergent G. les interpella à plusieurs reprises en criant « Halte, police ! ». Quelque temps après, la charrette tourna sur un chemin de terre, toujours suivie par la patrouille de police.

13.  Selon le rapport du sergent G., les policiers suivirent la charrette sur une distance d’environ 1 500 mètres sur le chemin de terre. Le rapport indique qu’il leur était impossible de la dépasser en raison de l’étroitesse et du mauvais état de la route. Le sergent G. tira deux coups de feu en l’air à titre d’avertissement. La charrette ne s’arrêtant pas, quelques instants plus tard il tira de nouveau, à quatre reprises, avec des munitions spéciales appelées cartouches « stop ». Selon le policier, ces tirs étaient dirigés vers les pneumatiques de la charrette et effectués à une distance d’environ 16 mètres.

14.  Le requérant quant à lui indique avoir entendu le policier avertir qu’il allait tirer, puis des coups de feu. Il conteste les allégations du policier quant au fait que celui-ci aurait visé les roues de la charrette.

15.  Le requérant fut blessé au dos. Quelques instants après, les deux véhicules s’arrêtèrent, la route étant devenue impraticable.

16.  Les deux policiers descendirent de la voiture dans le but d’arrêter les passagers de la charrette. Le requérant tenta de résister, mais tomba de la charrette et le policier parvint à le menotter, alors que l’autre policier appréhendait M. Peu après arriva une autre voiture de police, qui avait été appelée par les deux sergents, et le requérant fut transporté à l’hôpital.

17.  Le certificat médical délivré par le médecin qui traita le requérant à l’hôpital atteste d’une blessure par balle de forme ovale située dans le dos et d’une côte fracturée. L’intéressé subit une intervention chirurgicale qui permit d’extraire un corps en plastic éclaté et quelques plombs. Il quitta l’hôpital le 4 septembre 1996. Selon le constat du médecin, la blessure avait causé des souffrances physiques au requérant, sans toutefois représenter un danger pour sa vie.

18.  Aucune poursuite pénale ne fut diligentée à l’encontre du requérant et de M.

B.  Les investigations menées par les autorités

19.  Une enquête préliminaire fut immédiatement ouverte par le parquet régional militaire de Pleven, dont relevaient les agents de police de Vidin. Le 23 septembre 1996, sur la base du rapport établi par le sergent G. à l’intention de ses supérieurs, du rapport médical, ainsi que des dépositions du requérant et de M., le procureur militaire rendit une ordonnance de non‑lieu.

20.  Il considéra que l’intervention du policier était régulière au regard de l’article 42 de la loi sur la police nationale, permettant l’usage d’une arme à feu, en tant que mesure ultime, lors de l’arrestation d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction, après sommation. Le procureur estima ces conditions remplies en l’espèce, étant donné que le requérant et M. avaient commis un vol de maïs et refusé d’obtempérer à la police, et que le sergent G. avait fait usage de son arme après sommation et après avoir tiré en l’air afin d’avertir les personnes poursuivies.

21.  L’avocat du requérant introduisit un recours contre l’ordonnance de non-lieu, dans lequel il soutenait en particulier que l’arme à feu n’avait pas été utilisée à titre de mesure ultime, comme l’exigeait la loi.

22.  Le 2 décembre 1996, l’ordonnance de non-lieu fut confirmée par le procureur des forces armées de Sofia. Un nouveau recours du requérant auprès du parquet des forces armées fut rejeté le 10 décembre 1996. Le requérant saisit par la suite le procureur général de la République. Par une ordonnance en date du 3 février 1997, le procureur général adjoint et procureur des forces armées confirma le non-lieu, constatant que l’enquête avait été menée de manière complète et approfondie et que l’usage de l’arme était justifié par le refus d’obtempérer des deux protagonistes.

C.  L’action civile engagée par le requérant

23.  Le 14 février 1997, le requérant introduisit devant le tribunal de district de Vidin une action civile en réparation des dommages causés par l’action des forces de police, qu’il prétendait illégale.

24.  A l’audience, l’ami du requérant, M., ainsi que le collègue du sergent G. furent entendus à titre de témoins. Le sergent G. n’était pas présent à l’audience, étant en mission dans une autre région.

25.  Par un jugement du 16 juillet 1997, le tribunal débouta le requérant, considérant que l’usage d’une arme à feu avait été effectué en conformité avec l’article 42 de la loi sur la police nationale. Il constata que même si au moment des faits les policiers ignoraient que le requérant et M. avaient volé du maïs, les circonstances de l’incident, à savoir l’heure tardive, la charrette visiblement pleine et le refus d’obtempérer de ses passagers, laissaient penser qu’une infraction avait été commise, ce qui suffisait pour satisfaire aux conditions de la loi précitée. En outre, l’arme avait été utilisée comme mesure ultime, après sommation.

26.  Le requérant interjeta appel devant le tribunal régional de Vidin, exposant, d’une part, qu’il ne s’agissait pas d’une arrestation justifiée par la commission d’une infraction, puisque les policiers n’avaient pas connaissance du vol accompli et voulaient effectuer un simple contrôle d’identité et, d’autre part, que l’usage de l’arme n’était pas proportionné et n’avait pas été fait à titre de mesure ultime. Le tribunal régional confirma le jugement le 2 avril 1998.

27.  Le requérant introduisit un recours en révision (cassation), en tirant notamment argument de l’article 2 de la Convention quant à la proportionnalité de la force utilisée. La Cour suprême de cassation rejeta le recours par un arrêt du 23 février 1999.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A.  L’usage des armes à feu par les forces de police

28.  L’article 42 de la loi de 1993 sur la police nationale, en vigueur au moment des faits, disposait en ses parties pertinentes :

«(1)  Les forces de police peuvent faire usage de leurs armes [à feu], à titre de mesure ultime : (...)

4.  Après sommation, lors de l’arrestation d’un individu ayant commis ou en train de commettre une infraction pénale ; (...)

(2)  Les agents de police doivent, tant que possible, veiller à préserver la vie de la personne contre laquelle ils utilisent des armes à feu et ne pas mettre en danger la vie et l’intégrité d’autres personnes.

(3)  Lorsqu’il a été fait usage d’armes à feu, les agents concernés doivent établir un rapport écrit à leur hiérarchie. »

29.  L’article 80 de la loi sur le ministère de l’Intérieur, adoptée le 17 décembre 1997 et venue remplacer la loi de 1993 sur la police nationale, était initialement libellé dans des termes identiques à la disposition de l’article 42 de l’ancienne loi. Suite à une modification adoptée le 21 février 2003, il dispose actuellement :

« (1)  Les forces de police peuvent faire usage de leurs armes [à feu], à titre de mesure ultime : (...)

4.  Après sommation, lors de l’arrestation d’un individu ayant commis ou en train de commettre une infraction pénale, s’il fait preuve de résistance ou tente de s’enfuir. »

B.  Dispositions pertinentes du Code pénal

30.  Les articles 12 et 13 du Code pénal régissent les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale est exclue pour des faits commis en situation de légitime défense ou d’état de nécessité. Ils requièrent essentiellement que les dommages causés en pareil cas soient proportionnés à la nature et à l’intensité de l’attaque ou du risque encouru et raisonnables compte tenu des circonstances. Ces dispositions ne prévoient pas l’hypothèse d’un recours à la force pour procéder à une arrestation sans qu’il y ait eu agression ou danger immédiat pour l’agent procédant à l’arrestation ou pour un tiers. Avant 1997, aucune autre disposition ne régissait cette question. Il apparaît toutefois que les tribunaux ont appliqué ces dispositions dans certaines affaires concernant le recours à la force pour procéder à une arrestation.

31.  Dans un arrêt no 15 du 17 mars 1995, tout en constatant que le recours à la force afin de procéder à une arrestation n’était pas réglementé par la loi, ce qui était source de difficultés pour les tribunaux, la Cour suprême a considéré que les principes à appliquer étaient ceux qui avaient été dégagés par la doctrine. En particulier, le fait de causer un dommage ne se justifierait que s’il y avait des raisons plausibles de soupçonner que la personne devant être arrêtée avait commis une infraction, s’il n’existait aucun autre moyen de procéder à l’arrestation et si le dommage causé était proportionné à la gravité de l’infraction. Ainsi, si le délinquant a commis une infraction constituant un danger insignifiant pour le public, sa vie et sa santé ne sauraient être mises en danger. Il pourrait en revanche se justifier de mettre la vie ou la santé d’une personne en péril lorsque celle-ci se cache après avoir perpétré une infraction grave (un meurtre, un viol ou un vol avec violence). En tout état de cause, les moyens utilisés pour procéder à l’arrestation et le dommage causé doivent être raisonnables au vu des circonstances.

32.  En 1997, un nouvel article 12a a été ajouté au Code pénal. Selon cette disposition, le fait de causer un dommage à l’auteur d’une infraction lors de son arrestation n’est pas punissable lorsqu’il n’existait aucun autre moyen de procéder à l’arrestation et que la force utilisée était nécessaire et légale. La force employée n’est pas considérée comme nécessaire lorsqu’elle n’est manifestement pas proportionnée à la nature de l’infraction commise par la personne qu’il y a lieu d’arrêter ou est en soi excessive et inutile.

C.  Mise en œuvre de l’action publique

33.  Selon les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale (CPP), le procureur et l’enquêteur sont seuls compétents pour engager des poursuites pénales lorsqu’au vu des éléments du dossier il existe un soupçon raisonnable qu’une infraction a été commise. Ils agissent sur plainte ou de leur propre initiative (articles 186 à 192 CPP).

34.  Les autorités de poursuites ont la faculté de procéder à une enquête préliminaire afin de déterminer s’il y a lieu d’engager des poursuites (article 191 CPP). En vertu de l’article 237 alinéa 6, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, les victimes pouvaient introduire un recours contre une décision de non-lieu devant le procureur de rang supérieur.

35.  Les infractions commises par des agents des forces de police relèvent de la compétence des tribunaux militaires et des procureurs et enquêteurs militaires (article 388 alinéa 1 CPP, tel qu’en vigueur l’époque des faits).

D.  Responsabilité délictuelle de l’Etat

36.  La loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers dispose que l’Etat doit réparation du préjudice provoqué par les actes, actions ou inactions illégales de ses autorités ou agents.

III.  DISPOSITIONS PERTINENTES DU DROIT INTERNATIONAL

Les principes des Nations Unies sur le recours à la force

37.  Les principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, adoptés le 7 septembre 1990 par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, disposent notamment :

« 4.  Les responsables de l’application des lois, dans l’accomplissement de leurs fonctions, auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Ils ne peuvent faire usage de la force ou d’armes à feu que si les autres moyens restent sans effet ou ne permettent pas d’escompter le résultat désiré.

5.  Lorsque l’usage légitime de la force ou des armes à feu est inévitable, les responsables de l’application des lois :

a)  En useront avec modération et leur action sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre ;

b)  S’efforceront de ne causer que le minimum de dommages et d’atteintes à l’intégrité physique et de respecter et de préserver la vie humaine ; (...)

7.  Les gouvernements feront en sorte que l’usage arbitraire ou abusif de la force ou des armes à feu par les responsables de l’application des lois soit puni comme une infraction pénale, en application de la législation nationale. (...)

9.  Les responsables de l’application des lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l’arrestation d’une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l’empêcher de s’échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoi qu’il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. »

EN DROIT

I.  SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

38.  Le requérant expose qu’il a été victime d’une blessure par balle, potentiellement dangereuse pour sa vie, qui emporte violation de l’article 2 de la Convention en ce qu’elle résultait d’un recours à la force qui n’était pas « absolument nécessaire » dans les circonstances de l’espèce. Il soutient également que la législation bulgare régissant l’usage d’armes à feu par les forces de police, de même que l’application qui en est faite en pratique, est incompatible avec l’obligation positive de l’Etat de protéger le droit à la vie et se plaint en outre des déficiences de l’enquête effectuée.

39.  L’article 2 de la Convention est libellé comme suit :

Article 2

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2.  La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

A.  Concernant la blessure infligée au requérant

40.  La Cour observe qu’en l’espèce, la force utilisée à l’encontre du requérant n’a en définitive pas été mortelle. Si cet élément n’exclut pas en principe un examen des griefs soulevés sous l’angle de l’article 2 (voir Yaşa c. Turquie, arrêt du 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI, pp. 2436-2441, §§ 92-108 ; Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, §§ 49-55, CEDH 2004‑XI), la Cour a néanmoins considéré que c’est uniquement dans des circonstances exceptionnelles que des sévices corporels infligés par des agents de l’Etat peuvent s’analyser en une violation de l’article 2 de la Convention lorsqu’il n’y a pas décès de la victime. A cet égard, le degré et le type de la force utilisée, de même que l’intention ou le but sous‑jacents à l’usage de la force peuvent, parmi d’autres éléments, être pertinents pour apprécier si dans un cas donné les actes d’agents de l’Etat ayant infligé des blessures n’ayant pas entraîné la mort sont de nature à faire entrer les faits dans le cadre de la garantie offerte par l’article 2 de la Convention, eu égard à l’objet et au but de cette disposition. Dans pratiquement tous les cas, lorsqu’une personne est agressée ou maltraitée par des policiers ou des militaires, ses griefs doivent être examinés plutôt sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 76, CEDH 2000-VII ; Berktay c. Turquie, no 22493/93, § 154, 1er mars 2001; Acar et autres c. Turquie, nos 36088/97 et 38417/97, § 77, 24 mai 2005).

41.  La Cour doit dès lors déterminer dans le cas de l’espèce si la force employée contre le requérant était potentiellement meurtrière et quel impact le comportement des agents de l’Etat concernés a eu, non seulement sur l’intégrité physique de l’intéressé, mais aussi sur les intérêts que le droit à la vie est censé protéger (Makaratzis, précité, § 52).

42.  La Cour relève à cet égard que le requérant a été blessé par balle dans le dos par un policier, au cours de son interpellation. Il ressort du rapport médical produit au dossier que la blessure ainsi infligée n’a pas mis ses jours en danger. Concernant la force utilisée, la Cour note qu’une seule balle a touché le requérant et que cinq ou six ont été tirées. Par ailleurs, les munitions utilisées étaient des cartouches spécifiques, visiblement destinées à des opérations de maintien de l’ordre par la police, contenant des balles en plastique et réputées non létales, même si elles pouvaient être potentiellement dangereuses pour la vie à faible distance.

43.  Dès lors, eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour n’est pas persuadée que la force utilisée par les policiers était d’une nature ou d’un degré propres à porter atteinte aux intérêts protégés par l’article 2 de la Convention (voir Ilhan, précité, § 77).

44.  Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention du fait de la blessure infligée au requérant.

B.  Concernant les obligations positives et procédurales découlant de l’article 2 de la Convention

45.  A la lumière de sa conclusion ci-dessus et eu égard aux faits de la présente espèce, la Cour estime ne pas avoir à se pencher sur les allégations formulées sous l’angle de l’article 2 de la Convention et aux termes desquelles les autorités auraient manqué à leur obligation de protéger le droit à la vie du requérant ou de mener une enquête effective au sujet de l’usage de la force en l’espèce (Ilhan, précité, § 79).

II.  SUR LES VIOLATIONS ALLEGUÉES DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

46.  Le requérant soulève les mêmes griefs au regard de l’article 3 de la Convention, considérant que cette disposition offre des garanties similaires à l’article 2 en ce qui concerne la protection de l’intégrité physique des personnes. L’article 3 est libellé comme suit :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la responsabilité de l’Etat quant à la blessure infligée au requérant

1.  Arguments des parties

47.  Le requérant expose que la blessure qui lui a été infligée par les forces de police résultait d’un recours à la force qui n’était pas absolument nécessaire et strictement proportionné au but légitime poursuivi en l’espèce qui était de l’arrêter et d’effectuer un contrôle d’identité. Il soutient que la législation bulgare régissant l’usage d’armes à feu par les forces de police, de même que l’application qui en est faite en pratique, est incompatible avec l’obligation positive de l’Etat de protéger l’intégrité des personnes et la prohibition des traitements inhumains ou dégradants.

48.  Le Gouvernement conteste la thèse du requérant et soutient que l’usage de la force était absolument nécessaire et proportionné au regard des circonstances de l’espèce. Il expose que le requérant et M., après avoir commis un vol, ont refusé de s’arrêter suite aux sommations de la police et de se soumettre à un contrôle. L’usage de l’arme à feu était ainsi justifié dans le but de permettre l’arrestation des deux protagonistes. La force utilisée n’a pas dépassé celle nécessaire pour parvenir à cette fin, le policier ayant tiré après sommation et en visant les pneus de la charrette. La blessure du requérant aurait été occasionnée en raison du mauvais état de la route et serait, au demeurant, d’une faible gravité, en raison du type de munitions utilisé.

49.  Le Gouvernement ajoute que la législation interne pertinente offrait des garanties suffisantes à la protection de la vie en déterminant les conditions dans lesquelles l’usage de la force et, en particulier, des armes à feu était autorisé, conditions qui ont été respectées en l’espèce.

50.  En réponse, le requérant maintient que la réglementation même de l’usage des armes à feu n’était pas conforme aux standards établis par la Convention européenne des Droits de l’Homme et les autres instruments internationaux adoptés dans le cadre de l’ONU. Il relève notamment que la loi bulgare n’exigeait pas que l’usage d’une arme soit absolument nécessaire et proportionné, puisqu’elle autorisait un tel usage lors de l’arrestation d’une personne, indépendamment de la gravité de l’infraction qu’elle était supposée avoir commise ou de la menace qu’elle représentait pour la police ou pour les autres personnes présentes. En outre, les autorités compétentes feraient généralement preuve d’un formalisme excessif dans l’application de cette réglementation, sans jamais rechercher s’il existe, dans un cas concret, une alternative à l’usage d’une arme pour permettre l’arrestation d’un suspect.

51.  Concernant le cas de l’espèce, le requérant soutient que la force utilisée était excessive et loin d’être absolument nécessaire. Il considère que l’opération n’a pas été conduite avec le souci de limiter le risque pour son intégrité physique et que les possibilités alternatives d’effectuer l’arrestation n’ont pas été envisagées. Ainsi, la patrouille aurait aisément pu dépasser la charrette avec son véhicule. Le requérant souligne que lui et son ami ne présentaient aucun danger pour les policiers au moment où les coups de feu ont été tirés. Il soumet en outre que selon des manuels internes de la police, les balles utilisées sont considérées comme potentiellement mortelles à une distance de 11 mètres.

2.  Appréciation de la Cour

52.  La Cour rappelle que, combinée avec l’article 3, l’obligation que l’article 1 de la Convention impose aux Hautes Parties contractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par la Convention leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soient soumises à des mauvais traitements (A. c. Royaume-Uni, arrêt du 23 septembre 1998, Recueil 1998‑VI, p. 2699, § 22 ; M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 149, CEDH 2003‑XII ; Mahmut Kaya c. Turquie, no 22535/93, § 115, CEDH 2000‑III). La responsabilité de l’Etat peut donc se trouver engagée lorsque la loi n’assure pas une protection suffisante (A. c. Royaume-Uni, précité, p. 2700, § 24).

53.  Cette protection, comme l’obligation positive découlant de l’article 2 de la Convention, implique la mise en place d’une réglementation appropriée afin d’assurer une protection adéquate de l’intégrité physique des personnes, notamment par le biais d’un cadre juridique et administratif du recours à la force et de l’usage d’armes à feu par les représentants de l’ordre (voir, mutatis mutandis, Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 96, CEDH 2005-, 6 juillet 2005). La Cour a déjà considéré, dans des affaires relevant de l’article 2 de la Convention, que la réglementation concernant l’usage d’armes à feu doit définir les circonstances limitées dans le cadre desquelles les représentants de l’application des lois peuvent recourir à un tel usage, compte tenu des normes internationales en la matière ; s’agissant des opérations d’arrestation, elle doit subordonner le recours aux armes à feu à une appréciation minutieuse de la situation et surtout, à une évaluation de la nature de l’infraction commise par le fugitif et de la menace qu’il représente. Elle doit en outre offrir des garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de la force et même contre les accidents inévitables (Natchova et autres, précité, §§ 96-97 ; Makaratzis, précité, §§ 57-59).

54.  En l’espèce, la Cour constate avec préoccupation que les dispositions pertinentes de la loi sur la police nationale permettaient l’usage d’une arme à feu par les forces de police pour procéder à l’arrestation d’une personne, sans considération de la gravité de l’infraction que l’intéressé était supposé avoir commise, ni du danger qu’il représentait. En vertu de cette réglementation, les membres des forces de l’ordre pouvaient donc estimer légitime de tirer sur tout fugitif qui ne s’arrêtait pas après une sommation. Une simple sommation suffisait apparemment aux tribunaux pour admettre que l’usage d’armes à feu avait été effectué à titre de « mesure ultime » (paragraphes 20 et 25 ci-dessus).

55.  La Cour constate par ailleurs qu’à l’époque des faits, la loi interne ne réglementait pas les situations où des dommages devaient être causés pour permettre une arrestation régulière. Malgré l’existence d’une décision de la Cour suprême à ce sujet (paragraphes 30-32 ci-dessus), les principes qui y sont énoncés ne semblent pas avoir été appliqués dans le cas de l’espèce.

56.  Dès lors, la Cour estime que le cadre juridique existant en Bulgarie à l’époque des faits pour réglementer l’usage des armes à feu par les forces de police était fondamentalement insuffisant à protéger les personnes contre les atteintes injustifiées à leur intégrité physique. L’Etat défendeur a donc manqué de manière générale aux obligations positives, découlant de l’article 3 de la Convention, de prévenir de telles atteintes.

57.  Se tournant vers les faits particuliers de la présente espèce, la Cour constate que le requérant a subi une blessure par balle, apparemment sans danger pour sa vie, mais ayant provoqué la fracture d’une côte et nécessité une intervention chirurgicale pour l’extraction de la balle. Il n’est pas contesté entre les parties que l’intéressé a été blessé par un agent de police qui tentait de procéder à son interpellation. Dès lors, il appartient à la Cour de rechercher si la force utilisée était, en l’espèce, strictement nécessaire et proportionnée et si l’Etat doit être tenu pour responsable de la blessure infligée (Berliński c. Pologne, nos 27715/95 et 30209/96, § 64, 20 juin 2002 ; Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 76, CEDH 2000‑XII). A cet égard, la Cour attache une importance particulière aux blessures occasionnées et aux circonstances dans lesquelles elles l’ont été (R.L. et M.‑J.D. c. France, no 44568/98, § 68, 19 mai 2004).

58.  La Cour relève en premier lieu que les policiers ont entrepris la poursuite du requérant et de M. et ont fait usage de la force dans le but de les arrêter et de contrôler leur identité, ceux-ci ayant refusé d’obtempérer aux policiers et ayant pris la fuite.

59.  La Cour note ensuite que les deux protagonistes avaient volé du maïs dans un champ mais que cette circonstance n’était pas connue de la patrouille de police qui a tenté de les arrêter. Néanmoins, les policiers ont affirmé que le déplacement d’une charrette à une heure tardive leur avait paru suspect et la Cour admet qu’au vu des circonstances, ils pouvaient raisonnablement supposer que des actes illégaux avait été commis.

60.  Toutefois, il n’a jamais été allégué dans le cadre de la présente espèce que les policiers avaient des raisons de penser que les personnes à bord de la charrette avaient commis des crimes violents, qu’ils étaient dangereux ou qu’à défaut de les arrêter des conséquences néfastes irréversibles pourraient intervenir. Le requérant et M. n’étaient pas armés et rien dans leur comportement ne pouvait laisser penser qu’ils présentaient une menace pour les deux policiers.

61.  La Cour ne néglige certes pas le fait que le requérant a été blessé au cours d’une intervention imprévue qui a donné lieu à des développements auxquels la police a dû réagir sans préparation (voir, a contrario, l’arrêt Rehbock précité, §§ 71-72). Elle est par ailleurs consciente qu’eu égard à la difficulté de la mission de la police dans les sociétés contemporaines et à l’imprévisibilité du comportement humain, il y a lieu d’interpréter l’étendue de la responsabilité pesant sur les autorités internes de manière à ne pas imposer à celles-ci un fardeau insupportable (Makaratzis, précité, § 69).

62.  Cela étant, tout en admettant que les policiers impliqués n’ont pas eu le temps pour organiser suffisamment l’opération et qu’ils ont dû réagir dans l’urgence, la Cour ne saurait admettre qu’au vu des circonstances de l’espèce ils ont pu raisonnablement penser que les passagers de la charrette étaient dangereux et qu’il leur fallait dès lors faire usage de leurs armes pour les immobiliser (voir, a contrario, Makaratzis, précité, § 66).

63.  A cet égard, la Cour a déjà considéré sous l’angle de l’article 2 de la Convention que l’usage d’armes à feu mettant potentiellement en danger la vie humaine ne saurait en principe être justifié dans le but d’effectuer l’arrestation d’une personne lorsque l’on sait qu’elle ne représente de menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent, même s’il peut en résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif (Natchova et autres, précité, § 95).

64.  La Cour estime que des considérations similaires doivent être appliquées lorsqu’elle examine sous l’angle de l’article 3 de la Convention si, dans une situation où les autorités ont fait usage d’armes à feu, le recours à la force était strictement nécessaire et proportionné. Dans la présente espèce, même en ayant à l’esprit le niveau de la force utilisée, force est de constater que l’usage d’une arme à feu impliquait nécessairement un risque potentiel pour l’intégrité physique ou même la vie des personnes présentes, ce dont le policier concerné devait être conscient. Ce risque était d’autant plus présent en l’espèce que, comme le souligne le requérant, le policier ne pouvait compter sur un tir précis en raison de l’obscurité, du mouvement de la voiture et du caractère cahoteux du chemin. Dès lors, la Cour estime que l’utilisation d’une arme à feu dans ces circonstances ne saurait être justifiée au regard de l’article 3.

65.  De surcroît, les éléments au dossier permettent de penser que les policiers auraient pu tenter une arrestation sans faire usage d’une arme. Ils disposaient en effet d’un véhicule motorisé alors que le requérant et M. étaient à bord d’une charrette tirée par un cheval. Il est vrai que la charrette avait emprunté un chemin de terre irrégulier à travers un champ et qu’il était peut-être difficile de la dépasser, mais le chemin cahoteux gênait aussi la progression de la charrette et en outre, la voiture étant équipée de phares, il était peu probable pour les policiers de perdre les fugitifs de vue.

66.  En conclusion, outre le caractère insuffisant du cadre juridique et administratif pour la protection de l’intégrité physique des personnes, la Cour considère que dans le cas de l’espèce les forces de l’ordre ont fait usage d’une force qui n’était pas strictement nécessaire et proportionnée au but légitime de procéder à l’interpellation du requérant, en violation de l’article 3 de la Convention.

B.  Sur les insuffisances alléguées de l’enquête

1.  Arguments des parties

67.  Le requérant se plaint du caractère ineffectif de l’enquête menée. Il expose en particulier que l’enquête préliminaire effectuée était superficielle et basée uniquement sur le rapport des policiers. Il dénonce l’absence d’audition des témoins et d’une expertise qui aurait permis d’établir la distance et la direction des tirs de l’agent de police. Les procureurs n’auraient pas non plus examiné si le recours à une arme à feu était absolument nécessaire. Quant à la procédure civile engagée, il souligne que l’enquête exigée par la jurisprudence de la Cour doit pouvoir mener à la punition des responsables, ce qui est impossible dans la procédure en dommages et intérêts.

68.  Le Gouvernement considère que dans le cadre de l’enquête pénale effectuée et du procès civil engagé par le requérant un examen impartial, approfondi et complet de tous les éléments pertinents de l’affaire a été réalisé.

2.  Appréciation de la Cour

69.  La Cour rappelle que lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi des traitements contraires à l’article 3 de la part de la police ou d’autres autorités comparables, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’Etat par l’article 1 de la Convention de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention, requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables (Assenov et autres c. Bulgarie, arrêt du 28 octobre 1998, Recueil 1998‑VIII, § 102 ; Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000‑IV).

70.  La Cour constate qu’en l’espèce les autorités n’ont pas fait preuve d’une passivité totale. Suite aux faits litigieux, l’agent de police qui avait utilisé son arme a établi un rapport à l’intention de ses supérieurs, comme l’exigeait la loi. Une enquête préliminaire a été immédiatement ouverte par le parquet militaire, compétent pour l’engagement d’éventuelles poursuites pénales à l’encontre des policiers impliqués. Par ailleurs, les tribunaux civils saisis par le requérant se sont également penchés sur ses griefs. Il s’agit dès lors d’apprécier le caractère effectif des mesures entreprises (Dalan c. Turquie, no 38585/97, § 31, 7 juin 2005).

71.  La Cour observe tout d’abord que dans le cadre de l’enquête pénale effectuée, comme du procès civil, les autorités se sont limitées à apprécier la régularité du recours à la force au regard de la législation en vigueur. En vertu de cette législation, dont la Cour a ci-dessus constaté les insuffisances, ces autorités n’ont pas eu à rechercher si le recours à une arme à feu était justifié en l’espèce compte tenu de l’infraction que le requérant était suspecté avoir commise ou de sa dangerosité. Elles n’ont pas non plus examiné le caractère proportionné de la force utilisée et l’existence de solutions alternatives pour procéder à l’arrestation. Dès lors, en raison des déficiences de la réglementation nationale, l’approche même des autorités n’apparaît pas conforme aux exigences de l’article 3 (voir, mutatis mutandis, Natchova et autres, précité, § 114).

72.  Par ailleurs, indépendamment du cadre juridique étroit dans lequel l’enquête a été conduite, la Cour relève que certaines mesures d’instruction paraissant indispensables n’ont pas été réalisées. En particulier, une expertise balistique, susceptible de déterminer la distance et la direction des tirs, aurait permis de déterminer le caractère intentionnel ou non de la blessure ; une inspection des lieux et des interrogatoires plus complets des participants à l’incident auraient pu mettre la lumière sur l’existence de possibilités alternatives d’effectuer l’arrestation. Or, sur ces questions, les autorités saisies du dossier se sont contentées de considérer comme établis les faits tels que présentés dans le rapport du policier.

73.  Au vu de ces observations, la Cour considère que les mesures d’enquête entreprises n’ont pas revêtu un caractère approfondi et effectif, en méconnaissance de l’article 3 de la Convention.

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

75.  Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour le préjudice moral résultant des souffrances subies du fait de la blessure infligée et de l’absence d’enquête effective de la part des autorités. Il estime ce montant justifié par la gravité de sa blessure et par l’attitude des autorités bulgares qui n’auraient pas entrepris de changements législatifs malgré la contradiction de la réglementation de l’usage des armes à feu avec les standards internationaux.

76.  Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations sur ce point.

77.  Prenant en considération tous les éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 7 000 EUR pour le préjudice moral qu’il a subi du fait des violations constatées de l’article 3 de la Convention, plus tout montant pouvant être dû au titre d’impôt sur cette somme.

B.  Frais et dépens

78.  Le requérant demande également 3 500 EUR au titre des frais et dépens encourus dans la procédure devant la Cour. Il produit une convention d’honoraire et un décompte du travail de l’avocat pour un total de 58 heures au taux horaire de 60 EUR.

79.  Le Gouvernement n’a pas soumis de commentaires.

80.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu de tous les éléments en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 2 500 EUR et l’accorde au requérant, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

C.  Intérêts moratoires

81.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention ;

 

2.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention quant à la blessure infligée au requérant ;

 

3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le caractère ineffectif de l’enquête menée ;

 

4.  Dit

a)  que lEtat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares selon les taux applicables à la date du règlement :

i.  7 000 EUR (sept mille euros) pour dommage moral ;

ii.  2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour frais et dépens ;

iii.  tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur ces sommes ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 février 2006 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Nielsen                                                                Christos Rozakis
         Greffier                                                                                Président