Strasbourg, 28 janvier
2002 |
Diffusion
restreinte |
Avis no
188/2001_bih |
|
COMMISSION
EUROPEENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT
(COMMISSION DE VENISE)
AVIS SUR LE PROJET DE LOI ETABLISSANT
UN SERVICE D’INFORMATION
ET
DE PROTECTION EN BOSNIE-HERZEGOVINE
Par Jean-Claude Scholsem (membre, Belgique)
1.- Introduction
Le présent avis a pour objet le projet de loi
établissant un service d’information et de protection en Bosnie-Herzégovine (Draft
Le Bureau du Haut-Représentant
a sollicité l’avis du Conseil de l’Europe sur ce texte, étant entendu que la
Commission de Venise doit analyser plus particulièrement les aspects
constitutionnels de la question.
C’est dès lors sous ce seul angle que le projet
de loi sera abordé ici. De manière plus précise encore, il ne sera analysé
qu’en tant qu’il est susceptible de poser des problèmes de partage de
compétence entre la Bosnie-Herzégovine (ci après: B-H)
et les entités qui la composent, la Fédération de Bosnie-Herzégovine (ci après:
FB-H) et la Républika Srpska (ci-après: RS).
+++
2.- Le service (agency) d’information et de protection comprend, aux termes
du projet de loi, trois départements distincts.
Le premier est le département d’information (ou
de recherche) criminelle. Il a pour mission de rassembler et d’analyser les
données pertinentes pour la mise en œuvre des lois pénales internationales et
des lois pénales de B-H. Le texte contient une
énumération non limitative des infractions qui sont visées (notamment les actes
de terrorisme, le trafic de drogues, de substances nucléaires et d’armes
chimiques ou biologiques et les crimes de guerre et les crimes contre
l’humanité). Il est en outre spécifié que le département est compétent pour toute
infraction où existent un élément international et une obligation de la B-H sur le plan international (art.11, al. 2).
Le second département a pour objet la protection
des « V.I.P. », c’est-à-dire de l’ensemble
des personnes occupant des fonctions officielles importantes au service des
institutions de B-H et énumérées par l’article 12. A
ces personnes sont assimilées les dignitaires étrangers en voyage en B-H et d’autres personnes désignées par le Présidence.
Le troisième département se voit confier des
tâches assez proches de celles du deuxième. Il est compétent pour la protection
des missions diplomatiques et consulaires ainsi que des bâtiments des
institutions de B-H[1][1].
3.- Ce rapide exposé des tâches assignées au service d’information et de
protection et à ses trois départements permet d’envisager les problèmes que le
projet est susceptible de susciter au niveau de la répartition des compétences
entre la B-H et ses deux entités.
Selon l’article 2, alinéa 2 du projet, le
service (agency) a la responsabilité de mettre en
œuvre les compétences dévolues à la B-H par l’article
III-1-g) de sa constitution, à savoir « international and
inter-Entity criminal law enforcement, including relations with
Interpol ».
Les auteurs du projet ont donc cherché à juste
titre à fonder explicitement la compétence du législateur sur une disposition
expresse de la Constitution de B-H.
La Commission de Venise a déjà eu l’occasion
d’analyser la portée de l’article III-1-g) de la Constitution de B-H, notamment
dans son avis sur la compétence de la FB-H en matière
pénale[2][2]
ainsi que dans son avis sur la coopération judiciaire inter-entités
en B-H[3][3].
Au vu de ces avis, il apparaît que l’article
III–1-g) de la Constitution de B-H constitue un
fondement juridique adéquat aux missions confiées au département de recherche
criminelle par l’article 11 du projet. Les cas visés ont en effet une dimension
internationale ou une dimension inter-entités.
Le texte s’applique également aux infractions
prévues par des lois pénales de B-H et ce à juste
titre. En effet, bien que la Constitution de B-H
n’attribue explicitement aucune compétence pénale à la B-H, il doit être admis
que cette dernière dispose cependant de certaines compétences en cette matière,
lorsque l’instrument pénal est nécessaire à la mise en œuvre des autres
compétences explicitement attribuées à l’Etat. Cette conception s’inscrit dans
le droit fil de l’analyse développée antérieurement par la Commission de Venise
dans les deux avis précités.
4.- En ce qui concerne les missions assignées au département de protection des
« V.I.P. », il convient de remarquer que
les personnes protégées sont pour l’essentiel des personnes occupant des postes
officiels dans les institutions de B-H. A celles-ci
s’ajoutent les dignitaires étrangers en voyage ainsi que d’autres personnes
désignées par la Présidence.
Cette attribution rentre également dans la
compétence de la B-H. Certes, l’énumération en
principe limitative des compétences de la B-H reprise
à l’article III-1 de la Constitution ne semble pas couvrir cette compétence.
Cependant, cette disposition doit être combinée avec l’article III-5-a) qui
confère à la B-H des compétences additionnelles qui
sont nécessaires en vue de préserver la souveraineté, l’intégrité territoriale,
l’indépendance politique et la souveraineté internationale de la B-H. En ce qui concerne plus spécialement les dignitaires
étrangers en voyage en B-H, il peut être fait appel à la compétence reconnue à
la B-H par l’article III-1-a) de la Constitution en
matière de politique étrangère. La mise en œuvre de cette compétence implique
que la B-H soit à même de prendre toute mesure
adéquate en vue de protéger les personnalités politiques en voyage sur son
territoire.
La compétence de la B-H
paraît donc également établie. Toutefois, elle ne l’est pas sur base de
l’article III-1-g) de la Constitution, mais sur base de l’article III-5-a). Le
texte de l’article 2, alinéa 2 du projet devrait être modifié en conséquence.
En admettant la compétence de la B-H, sur base
de l’article III-5-a), lorsqu’il s’agit pour l’ Etat de protéger ses propres
institutions et les personnes qui y occupent des postes officiels, le présent
avis se situe dans la ligne d’une interprétation constante développée par la
Commission de Venise. Ainsi, la Commission a-t-elle déjà soutenu que, bien
que la Constitution de B-H n’attribue à cette
dernière aucune compétence pénale, des infractions pouvaient être établies à ce
niveau, lorsque ces incriminations étaient nécessaires pour mettre en œuvre des
compétences propres à l’Etat ou lorsque ces incriminations étaient liées à la
préservation de l’ordre juridique de la B-H en tant
qu’ordre étatique[4][4].
On raisonne ici par analogie. Il convient en
outre de souligner que les compétences de la B-H sont
exclusives dans ces matières. Il apparaît en effet évident que seul l’Etat peut
prendre des mesures en vue d’assurer la protection des personnes occupant des
fonctions officielles au sein de ses différents organes.
5.- Les problèmes soulevés par le département de
protection des missions diplomatiques et consulaires et des bâtiments des
institutions de B-H sont très similaires à ceux qui
viennent d’être évoqués.
Ici aussi, il y a un point de rattachement très
évident soit avec les compétences de la B-H en matière de politique étrangère (article III-1-a)
soit avec la sauvegarde des institutions étatiques elles-mêmes (article
III–5-a). En fait, les missions de ces deux départements paraissent fort
proches, sinon que l’un s’adresse plus aux personnes tandis que l’autre vise
plutôt les immeubles et les biens.
6.- La compétence de la B-H
apparaît donc bien établie sur tous ces points. Il serait sans doute
souhaitable d’élargir la base constitutionnelle visée à l’article 2, alinéa 2
du projet en vue d’y englober également l’article III-1-a) et l’article
III-5-a) de la Constitution.
En outre, certains problèmes de coordination
peuvent se poser avec des politiques parallèles menées au niveau des entités
fédérées.
La RS dispose en effet d’une loi sur le service
de recherche (intelligence) et de sécurité de la R.S.
(Official Gazette of RS 21/98). La FB-H ne semble pas
disposer d’une telle loi, mais un projet très détaillé est en voie
d’élaboration (dernier texte daté de mai 2001).
Sans prétendre nous livrer à une analyse
exhaustive de ces textes, ce qui sortirait du cadre du présent avis, il
convient cependant de formuler certaines observations.
Il apparaît d’emblée que ces textes sont beaucoup plus
développés (46 articles pour la loi de RS, 78 articles pour le projet de la FB-H) que le projet établi au niveau de la B-H (26 articles). On ne peut que s’interroger sur les
raisons de ce manque de symétrie.
En principe, la matière visée, à savoir les services
de renseignements et de protection, se prête fort bien à un exercice parallèle
des compétences. Il semble, par exemple, tout à fait normal que la RS puisse
prendre des mesures pour la protection de son propre ordre constitutionnel
(article 1 loi RS) ou de ses propres institutions ou des personnes y occupant
des fonctions officielles (article 4 loi RS).
Il n’est pas besoin, par ailleurs, de rappeler ici que les entités
fédérées disposent en B-H de la compétence résiduaire
(article III-3-a) et qu’en outre elles sont investies de responsabilités
particulières en matière de sécurité des personnes sur leur territoire
respectif, ce qui implique le pouvoir de mettre sur pied les institutions et
services adéquats (civilian law
enforcement agencies)
(article III-2-a).
Cet exercice parallèle des compétences doit,
pour être efficace, s’insérer dans le cadre d’un fédéralisme de coopération.
Cette coopération est d’ailleurs visée par l’article 2, alinéa 3 du projet de
la loi de la B-H (qui pourrait être rendu plus
explicite à cet égard, en visant expressément la coordination avec les services
semblables existant au niveau des entités).
Il apparaît cependant que la loi de la RS n’est pas
exempte de tout excès de compétence. Tel est le cas, notamment, de certains
points de l’énumération contenue à l’article 4 de cette loi qui visent, par
exemple, les crimes de droit international ou de droit humanitaire ou encore le
crime international organisé ou les infractions inter-étatiques
ou les menaces contre l'ordre constitutionnel de la B-H.
Ces matières ne relèvent pas de la compétence de la RS et la loi devra être
adaptée sur ces points au plus tard lors de l’entrée en vigueur de la loi de B-H.
7.- Le projet de loi relatif au service de renseignement
et de sécurité de la FB-H évite la plupart de ces
empiétements de compétence. Il ne vise, par exemple, que la protection des
institutions et organes de la Fédération (et non de la B-H).
Toutefois, l’article 3-c) lui donne compétence en ce qui concerne les actes
punissables selon le droit international et le droit humanitaire et la
coopération avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
Cette dernière compétence relève non de la Fédération,
mais de la B-H en vertu de l’article III -1-g) de la
Constitution.
Cependant, le projet de loi de la Fédération
doit se lire dans une tout autre perspective que la loi de la RS. En effet, ce projet se présente comme établissant une
solution transitoire jusqu’à l’installation d’un service de recherche et de
sécurité au niveau de l’Etat (article 1, al. 2, projet de loi FB-H).
Il semble donc qu’il y ait deux projets en
concurrence, un projet au niveau de la FB-H et un
projet au niveau de la B-H elle-même, étant entendu
que le premier doit s’effacer lors de l’entrée en vigueur du second.
8.- A première vue, d’un point de vue juridique,
cette démarche peut paraître excessive, dans la mesure ou la FB-H a des compétences propres en la matière. C’est à elle
qu’il revient, par exemple, de protéger ses propres installations et bâtiments
ou la sécurité de ses organes.
Toutefois, la Constitution de B-H
peut offrir un cadre juridique adéquat à ce qui apparaît comme un transfert de
l’exercice de certaines compétences par une entité fédérée au profit de la B-H. Ce transfert semble aller plus loin que la simple
coordination prévue à l’article III-4 et qui peut être décidée par la
Présidence sauf objection d’une entité fédérée. Il s’agirait de nouvelles
compétences attribuées à la B-H en vertu de l’article
III-5-a), (« responsibility for such other matters
as are agreed by the Entities »).
Apparemment, ce texte vise la situation où les
deux entités confieraient certaines compétences à la B-H.
Si l’on suit cette interprétation, la solution qui semble être envisagée du
côté de la Fédération devrait être accompagnée d’une démarche parallèle du côté
de la RS. Les services de renseignements et de
protection seraient ainsi centralisés, quelle que soit la matière sur laquelle
ils portent.
Il n’est pas tout à fait exclu, cependant, que l’on
puisse interpréter l’article III -5-a) de manière très souple, en ouvrant la
voie d’un fédéralisme asymétrique. Dans cette perspective, le texte
signifierait que l’une ou l’autre Entité ou les deux pourraient confier des tâches
spéciales à la B-H. Le pluriel utilisé par le texte
ne serait plus décisif. Si une telle interprétation devait être adoptée, rein
n’empêcherait la Fédération de confier l’exercice de ses compétences en matière
d’information et de protection à la B-H, tandis que la RS continuerait à les
exerces (dans les limites, évidemment, de ses compétences constitutionnelles).
Cette solution exigerait la mise au point d’un système de péréquation
financière, puisqu’une des deux entités continuerait à exercer des compétences
dont l’exercice a été confié au niveau central par l’autre.
9.- Au cours de la rédaction du présent avis, un
nouveau texte daté de décembre 2001 a été communiqué. Ce projet remplace le
projet antérieur, daté de mai 2001, relatif au service de recherche
(intelligence) et de sécurité de la F B-H.
L’article 1 de ce projet est fondamentalement
modifié : son alinéa 2 établissant que le service de la F B-H n’aurait d’existence que jusqu’au moment où un service
de recherche (intelligence) et de sécurité serait établi au niveau de la B-H est supprimé.
Cependant l’article 68 inséré dans les
dispositions transitoires et finales, reprend un principe semblable. On peut en
effet juger que ce principe trouve mieux sa place dans les dispositions
transitoires que dans les dispositions générales de la loi.
Il existe néanmoins une différence de rédaction
entre l’article 1 alinéa 2 (projet de mai 2001) et l’article 68 (projet de
décembre 2001).
Le premier texte énonce simplement que le
service de la F B-H cessera d’exister dès qu’un
service de recherche (intelligence) et d’information sera établi au niveau de
la B-H (et devra à ce moment transférer tous ses
biens, documents et informations à ce dernier service).
Le texte de décembre 2001 précise que le service
établi au niveau de la F B-H cessera de fonctionner
lorsqu’un service relevant de recherche et d’information aura été mis
sur pied en B-H [5][5].
Les auteurs du projet devraient élucider la question
de savoir si cette différence de rédaction est purement fortuite ou
intentionnelle. Si elle est intentionnelle, quelle en est exactement la
portée ? Dans un sens, le service établi au niveau de la B-H ne sera jamais « relevant » puisqu’il devrait
s’occuper d’activités de renseignement et de sécurité dans des matières qui
relèvent de la compétence de la F B-H (par exemple la
protection du personnel et des bâtiments de la F B-H
(art. 3,e) texte de décembre 2001). Le service de la B-H
ne serait « relevant » que si les deux entités (voire, peut-être une
seule) transférait l’exercice de cette compétence à la B-H
en vertu de l’article III-5-a) de la Constitution de la B-H
(cf. supra n° 8).
Une autre interprétation est possible. On peut
imaginer qu’un service de recherche et de sécurité soit établi au niveau de la
B-H, mais qu’il ne soit pas jugé « relevant » parce que ses
compétences ratione mater
Dans ce dernier cas, le service existant au niveau de
la F B-H subsisterait-il pour partie et serait-il
absorbé pour l’autre partie par le service créé au niveau de la B-H ? Le texte semble exclure cette possibilité. Il y
aurait dès lors coexistence des deux services, tant que le service établi au
niveau de la B-H n’est pas jugé
« relevant ». Mais qui vérifiera cette adéquation et selon quelle
procédure ?
Il semble donc qu’il convienne de clarifier la
portée du nouvel article 68 quant à la coexistence possible de services
semblables dans le cadre de la F B-H et de la B-H.
En outre, il nous semble que le nouveau projet
(décembre 2001) relatif au service de la F B-H
continue à contenir certains excès de compétence, notamment dans son article 3
a) (international crime) et 3 c) (crimes de droit international et de droit
humanitaire et collaboration avec le TPIY).
10.- Conclusions
Le projet de loi sur le service d’information et
de protection s’insère dans les compétences constitutionnelles de la B-H.
Son fondement juridique peut être déduit non
seulement de l’article III-1-g) mais aussi de l’article III-1-a) et de
l’article III-5-a) de la Constitution.
La matière traitée se prête aisément à un
exercice parallèle des compétences. Cet exercice parallèle s’impose même en vue
de respecter les compétences de la B-H et de ses
entités.
La loi de la RS sur le service d’information et
de protection paraît contenir certains empiètements sur les compétences de la B-H.
e) Le
projet de loi de la FB-H envisage une sorte
d’absorption du service qui serait créé au niveau de la Fédération par celui qui serait établi au niveau de la B-H. Cette démarche est constitutionnellement possible si
les deux entités fédérées en décident ainsi (article III-5-a). La question de
savoir si une seule entité peut agir de la sorte reste ouverte.
f) Le
projet de loi de la F B-H dans son dernier état
(décembre 2001) contient une disposition transitoire (art. 68) dont la portée
pourrait être différente de la disposition similaire du texte antérieur (art.
1, al. 2) et qui devrait, en toute hypothèse, être élucidée.
Le 24 janvier 2002
[1][1] Bien que ce point ne relève pas de
l’objet du présent avis, il convient de se demander s’il ne conviendrait pas de
fusionner ces deux derniers départements dont les missions sont proches et
nettement distinctes de celles assignées au département de recherche
criminelle.
[2][2] Adopté
par la Commission lors de sa
34e réunion plénière
(6-7 mars 1998) voir Avis sur
le régime constitutionnel
de Bosnie-Herzégovine, septembre
1994-juin 1998, CDL – INF (98) 15, p.88.
[3][3] Adopté
par la Commission lors de sa
35e réunion plénière
(12-13 juin 1998) voir CDL-INF
(98)15, >
[4][4] Voy. Spécialement l’avis sur la compétence de la Fédération de B-H en matière pénale (6-7 mars 1998), points 9 à
11.
[5][5]
En outre, l’article
68 (texte de décembre 2001)
ne prévoit pas, comme l’art. 1, al. 2 (texte de mai 2001) une compensation pour les biens ainsi transférés d’un service à l’autre. Il semble
qu’il s’agisse là d’une lacune.