Strasbourg, le 25 octobre 2002


Avis no. 203/2002

CDL-AD (2002) 24

Or. fr.

 

 

 

COMMISSION EUROPEENNE POUR LA DEMOCRATIE PAR LE DROIT

(COMMISSION DE VENISE)

 

 

 

A V I S

sur la mise en œuvre

de la décision de la Cour constitutionnelle

de Bosnie-Herzegovine

U5/98 («Peuples constituants»)

par les amendements  la constitution

de la Republika Srpska

 

 

Adopté par la Commission de Venise

lors de sa 52ème Session plénière

(Venise, 18-19 octobre 2002)

 

 

sur la base des observations de

M. J.-C. SCHOLSEM (membre, Belgique)

 

 

 

 

I.         INTRODUCTION

 

1.         Par lettre du 22 avril 2002, Monsieur Dragan KALINIC, Président de l’Assemblée Nationale de la Republika Srpska (R.S.) a soumis à la Commission de Venise une série d’amendements à la constitution de la R.S.. Ces amendements ont pour objectif de mettre cette constitution en conformité avec les décisions de la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine, plus spécialement avec la troisième décision partielle dans l’affaire U 5/98 dite des « peuples constituants » (Doc. CDL (2000) 81).

 

Les amendements présentés à la Commission de Venise sont le fruit d’un compromis politique global conclu, sous l’égide du Haut-Représentant, le 27 mars 2002 entre les principales forces politiques de Bosnie-Herzégovine afin de mettre en œuvre, au niveau des deux entités, la décision précitée de la Cour constitutionnelle.

 

Par la suite, ces amendements ont encore fait l’objet de certaines modifications. Ils sont maintenant intégrés dans le texte de la Constitution de la R.S., tel que publié sur le site internet du bureau du Haut-Représentant.

 

Le présent avis n’a pas pour objectif de rendre compte de manière exhaustive et détaillée de l’ensemble de ces amendements. La très grande majorité d’entre eux n’appellent d’ailleurs pas d’observation et sont une traduction fidèle des décisions de la Cour constitutionnelle.

 

Par contre, il peut être intéressant de replacer ces amendements dans leur contexte général, compte tenu des prises de position antérieures de la Commission de Venise (II) et ensuite de faire ressortir leurs lignes de force (III).

 

II.        CONTEXTE DES AMENDEMENTS A LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIKA SRPSKA ET AVIS ANTERIEURS DE LA COMMISSION DE VENISE

 

2.         Dans sa décision partielle III dans l’affaire U 5/98 (« peuples constituants »), la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a déclaré inconstitutionnels les paragraphes 1, 2, 3 et 5 du préambule de la Constitution de la R.S. ainsi que les mots « State of the Serb people and » dans l’article 1 de la même Constitution[1][1].

 

De la même manière, la Cour estimait contraires à la Constitution de la Bosnie-Herzégovine (B.-H.) les mots « Bosniacs and Croats as constituent peoples, along with others » et les mots « in the exercise of their sovereign rights » dans l’article I.1(1) de la Constitution de la Fédération de Bosnie-Herzégovine (F. B.-H.)[2][2].

 

Le raisonnement qui sous-tend en ordre principal la décision de la Cour est le suivant. Le dernier paragraphe du préambule de la Constitution de B.-H. désigne explicitement les Bosniaques, les Croates et les Serbes comme peuples constituants. Ces peuples constituants doivent dès lors jouir de ce statut d’égalité collective sur tout le territoire de l’Etat. Il ne peut être question que deux de ces peuples (les Bosniaques et les Croates dans la Fédération) ou l’un d’entre eux (les Serbes dans la R.S.) soient désignés comme seul(s) peuple(s) constituant(s) de l’entité fédérée correspondante.

 

Les attendues n°59 et 60 de la décision de la Cour sont spécialement éclairants à cet égard :

« 59. Si les peuples constituants, sont en réalité, dans une situation majoritaire ou minoritaire dans les Entités, la reconnaissance explicite des Bosniaques, des Croates, et des Serbes en leur qualité de peuples constituants par la Constitution de B.-H. peut seulement signifier qu’aucun d’entre eux n’est reconnu constitutionnellement comme formant la majorité ou bien, autrement dit, qu’ils jouissent de l’égalité en tant que groupe. Par conséquent, on doit conclure, à l’instar de la Cour suprême de Suisse qui a déduit de la reconnaissance des langues nationales l’obligation des cantons de ne pas supprimer ces groupes linguistiques, que la reconnaissance des peuples constituants et d’un principe constitutionnel prioritaire – le principe de l’égalité collective – imposent aux Entités l’obligation de ne pas discriminer en particulier les peuples constituants qui sont, en réalité, dans une position de minorité dans l’Entité respective. Il n’y a donc, non seulement une obligation constitutionnelle claire, résultant des Articles II/3 et 4 de la Constitution de B.-H., de ne pas violer les droits individuels d’une manière discriminatoire, mais aussi une obligation constitutionnelle de non-discrimination en fonction des droits des groupes si, par exemple, un ou deux peuples constituants bénéficient d’un traitement privilégié dans le système juridique des Entités.

60. En conclusion, le principe constitutionnel de l’égalité des peuples constituants, qui découle de la désignation des Bosniaques, des Croates et des Serbes en leur qualité de peuples constituants, interdit tout traitement privilégié pour un ou deux de ces peuples, toute domination dans les structures gouvernementales et toute homogénéisation ethnique par une ségrégation basée sur une délimitation territoriale. ».

 

3.         Il est clair que les conséquences de la décision partielle n° III n’étaient pas limitées à retrancher des Constitutions de la F. B.-H. et de la R.S. les termes déclarés inconstitutionnels. Le raisonnement très élaboré mené par la Cour en vue d’arriver à sa conclusion devait conduire à une refonte beaucoup plus globale – et politiquement ardue – des deux Constitutions.

 

Il est tout aussi clair que cette œuvre de reformulation se posait sur le terrain juridique en termes assez différents en ce qui concerne la Fédération d’une part et la R.S. d’autre part.

 

En effet, au niveau de la Fédération, un grand nombre de dispositions s’appuyaient sur la structure officiellement bi-ethnique de l’Etat et répartissaient les postes, par exemple au sein de la Présidence, du Gouvernement et de la Chambre Haute du Parlement entre les seuls Bosniaques et Croates.

 

Ce système était condamné par la décision de la Cour affirmant le principe de l’égalité des trois peuples constituants sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine.

 

Par contre, en ce qui concerne la R.S., mise à part la disposition de principe, déclarée inconstitutionnelle, proclamant que la R.S. est l’Etat du peuple Serbes et de tous ses citoyens, aucune autre disposition constitutionnelle n’établissait de privilège ou d’avantage quelconque en faveur de ce groupe ethnique. Sur le plan purement juridique, cette constitution paraissait donc présenter la plus stricte neutralité.

 

4.         Compte tenu de cette asymétrie, la mise en œuvre concrète de la décision de la Cour pouvait emprunter deux voies différentes que l’on peut schématiquement résumer de la manière suivante.

 

La décision de la Cour implique que si les entités reconnaissent des droits spéciaux aux « peuples constituants », les trois peuples doivent bénéficier de ce statut dans les deux entités. Elle n’entraîne pas ipso facto l’obligation pour les entités fédérées de reconnaître ces droits spéciaux et de consacrer cette égalité entre groupes. En d’autres termes, elle ne semble pas exclure une approche purement individualiste des droits, pensée en termes classiques de citoyenneté.

 

La Commission de Venise a étudié cette question dans son avis CDL-INF (2001) 6 adopté lors de sa 46è réunion plénière des 9 et 10 mars 2001.

 

La Commission n’a pas voulu donner une sorte d’interprétation authentique de la décision de la Cour, ce qui excéderait manifestement ses compétences. Elle n’a pas non plus voulu décrire dans le détail des solutions concrètes qui relèvent en toute hypothèse des choix purement politiques. A cet égard, il convient de souligner que ces deux limitations qui s’appliquaient à l’avis donné en 2001 valent tout aussi bien pour le présent avis.

 

Dans son avis, CDL-INF (2001)6, Commission soulignait les lourdeurs ainsi que les risques de blocage, voire les entorses aux principes démocratiques de base susceptibles de découler, en ce qui concerne la Fédération, d’une extension du statut de peuple constituant aux Serbes.

 

En sens inverse, la Commission, tout en attirant l’attention sur les mérites d’une approche individualiste, centrée sur la citoyenneté, n’en indiquait pas moins les limites dans le contexte politique actuel. A tout le moins, cette solution paraissait-elle prématurée et peu en phase avec les aspirations profondes de la majeure partie de la population, en particulier de ses groupes minoritaires.

 

Il est intéressant de noter à cet égard que la Commission s’appuyait précisément sur l’exemple de la R.S. dont les dispositions constitutionnelles et légales apparemment neutres et conçues en termes individualistes n’en donnaient pas moins lieu en pratique à une discrimination massive et systématique à l’encontre des non-serbes.

 

Toutefois, la Commission ne recommandait pas d’étendre à la R.S. des mécanismes consacrant l’égalité collective des peuples constituants. Consciente des limites d’une approche purement formelle du principe de non-discrimination, surtout dans le contexte de la R.S., elle proposait de mettre à charge des autorités de la R.S. des obligations positives en matière d’égalité. Certains mécanismes, en vue contrôler l’effectivité de ces obligations positives étaient aussi envisagés.

 

5.         La Commission de Venise a continué à participer à la réflexion en ce domaine à travers la Task Force mise sur pied par le Haut-Représentant. Les résultats des travaux de cette Task Force sont consignés dans le document CDL (2001)23. La Task Force envisageait, entre autres options, la mise en place dans les deux entités de « Commissions constitutionnelles » chargées de veiller aux intérêts vitaux des peuples constituants. Ces Commissions ont été effectivement établies par une décision du Haut-Représentant du 11 janvier 2001. A bien des égards, elles préfigurent les solutions présentées dans les amendements à la Constitution de la R.S. dont la Commission de Venise est à présent saisie.

 

III.      LIGNES DE FORCE DES AMENDEMENTS A LA CONSTITUTION DE LA REPUBLIKA SPRSKA

 

6.         Comme il a été dit dans l’introduction, les amendements soumis à la Commission de Venise résultent d’un accord global du 27 mars 2002 entre les différents partis politiques de Bosnie-Herzégovine. De toute évidence, cet accord vise à établir un parallélisme aussi parfait que possible entre les solutions retenues au niveau des entités. La Commission n’est toutefois saisie que des amendements à la Constitution de la R.S.

 

En tout premier lieu, la Commission de Venise ne peut que se réjouir qu’un accord politique ait pu se dégager sur ce terrain éminemment sensible et qu’ainsi la mise en œuvre des décisions de la Cour constitutionnelle puisse enfin être assurée.

 

En outre, la Commission comprend entièrement les raisons qui, sur le plan politique, ont milité en faveur de solutions symétriques dans les deux entités, même si, se situant sur le plan juridique, elle ne recommandait pas a priori cette démarche.

 

Le présent avis n’a pas pour objet de vérifier la conformité des amendements apportés à la Constitution de la R.S. par rapport à l’accord politique du 27 mars 2002, ce qui est une question purement interne. Il ne peut non plus envisager d’offrir un aperçu détaillé des multiples amendements apportés à cette constitution mais uniquement d’en faire ressortir l’objet essentiel qui est de donner suite aux décisions de la Cour constitutionnelle, spécialement en consacrant, au sein même des institutions de la R.S., le principe de l’égalité collective des peuples constituants.

 

7.         A cette fin, l’économie de la Constitution de la R.S. est complètement bouleversée. On peut même dire que sur certains points, les amendements adoptés vont plus loin que ce que n’exigeait la simple mise en œuvre de la décision de la Cour constitutionnelle dans l’affaire des « peuples constituants ».

 

Outre le préambule qui est totalement réécrit, l’article 2 de la Constitution pose deux principes essentiels. D’une part, il reconnaît explicitement que la R.S. est l’une des deux entités égales de Bosnie-Herzégovine, ce qui correspond à un vœux exprimé depuis longtemps par la Commission de Venise. D’autre part, il énonce que les Serbes, les Bosniaques et les Croates, comme peuples constituants, les autres et les citoyens participeront à l’exercice du pouvoir de manière égale et sans discrimination.

 

De nombreuses applications découlent de cette position de principe. Seules les plus importantes sont signalées ici.

 

L’article 5 de la Constitution décrivant les principes de base du système politique est enrichi d’un nouveau point, relatif à la protection des intérêts vitaux des peuples constituants.

 

La question délicate des langues officielles est tranchée par le nouvel article 7. Les langues officielles de la R.S. sont la langue du peuple serbe, la langue du peuple bosniaque et la langue du peuple croate. Cette périphrase vise à éviter toute contestation inutile sur l’appellation exacte des langues. Il est en outre spécifié que les caractères cyrilliques et latin constituent les écritures officielles.

 

L’alinéa 4 de l’article 28 établissant un lien spécial financier et de coopération entre l’Etat et l’Eglise orthodoxe est abrogé suite à la décision de la Cour constitutionnelle. Il est permis de s’interroger sur le maintien de l’alinéa 3 du même article énonçant que l’Eglise serbe orthodoxe est l’Eglise du peuple serbe et des autres personnes de religions orthodoxe. Cette disposition peut paraître problématique au point de vue de la liberté de religion. Elle n’a toutefois pas été soumise à la Cour constitutionnelle.

 

De la même manière, le point 16 de l’article 68 qui donnait mission à la R.S. d’assurer la coopération avec le peuple serbe vivant à l’extérieur des frontières de la République est supprimé.

 

L’ensemble de ces modifications traduisent sans ambiguïté une nouvelle conception des fondements mêmes de l’Etat et son ouverture pluri-ethnique.

 

8.         Sur le plan institutionnel, les modifications sont tout aussi nombreuses et profondes.

 

Par exemple l’article 69 dernier alinéa énumère six postes importants dans l’Etat (Premier Ministre, Président de l’Assemblée nationale, Président du Conseil des Peuples, Président de la Cour suprême, Président de la Cour constitutionnelle, Procureur de la République) et établit que deux au maximum de ces postes peuvent être occupés par un représentant d’un des peuples constituants ou par « les autres ». Cette disposition semble aller au delà de la simple application de la décision de la Cour constitutionnelle.

 

Des dispositions semblables de caractère proportionnaliste et inspirées d’une logique d’égalité des groupes se retrouvent à de nombreux autres endroits.

 

Ainsi, deux vice-présidents assistent le président de la République dans l’exercice de ses fonctions (art. 80).

 

Le Premier Ministre et le Vice-Premier Ministre ne peuvent être issus du même peuple constituant (art. 92).

 

La composition ethnique du gouvernement est fixée par la Constitution même, en distinguant une phase transitoire et une phase définitive (après la mise en œuvre complète de l’annexe VII des accords de Dayton) (art. 92).

 

L’article 97 établit de manière générale le principe selon lequel les peuples constituants et les membres du groupe des « autres » seront représentés de manière proportionnelle dans les institutions publiques de la R.S. (en suivant, jusqu’à la mise en œuvre complète de l’annexe VII, le recensement de 1991). Le même principe vaut mutatis mutandi au niveau des municipalités en se fondant sur le dernier recensement et la composition de l’assemblée municipale (art. 102) ainsi que pour les juges de district et des tribunaux de première instance (art. 127).

 

Enfin, le panel de la Cour constitutionnelle chargé de la protection des intérêts vitaux doit comprendre sept membres, deux issus de chaque peuple constituant et un issu du groupe des « autres » (art. 116).

 

Ces dispositions, choisies parmi les plus importantes, témoignent de la place essentielle réservée par les amendements constitutionnels aux mécanismes visant à sauvegarder et à promouvoir l’égalité des groupes et plus spécialement des peuples constituants.

 

9.         La modification la plus essentielle a cependant trait aux assemblées.

 

Jusqu’à présent, la R.S. pratiquait la monocamérisme, le Sénat de la R.S. n’ayant qu’une vocation consultative.

 

La réforme crée une seconde chambre, la Chambre des Peuples. Sur le plan organique, cette Chambre des Peuples est issue de l’Assemblée Nationale, elle même élue au suffrage universel direct[3][3]. Les membres de la Chambre des Peuples sont élus par les divers « caucus » de l’Assemblée Nationale. Chacun de ces « caucus » désigne huit membres en ce qui concerne les peuples constituants et quatre membres en ce qui concerne les « autres ». La Constitution prévoit même que si le nombre de membre d’un « caucus » au sein de la Chambre des Peuples excède le « caucus » correspondant de l’Assemblée Nationale, ce dernier doit être élargi à des conseillers municipaux en vue de procéder à ces élections (art. 71).

 

En d’autres termes, au sein de la Chambre des Peuples, c’est le principe de l’égalité des peuples qui prévaut, les minorités (« autres ») ayant droit à la moitié des sièges alloués à chaque peuple constituant.

 

Cette formule de très nette sur-représentation de certaines populations peut conduire à l’utilisation de techniques contestables sur le plan démocratique. Tel est le cas, décrit plus haut, où de simples conseillers municipaux sont appelés à contribuer à l’élection de représentants à la Chambre des Peuples.

 

10.       La Chambre des Peuples n’intervient pas en toute matière législative, mais uniquement lorsque les intérêts vitaux des peuples constituants sont en cause (art. 69, al. 2).

 

La définition des intérêts vitaux est contenue dans l’article 70, alinéa final de la Constitution. Cette définition est déjà en soi très large. Elle comprend par exemple le droit des peuples constituants d’être adéquatement représentés dans les organes législatifs, exécutifs et judiciaires, l’identité des peuples constituants, l’éducation, la religion , la langue, la promotion de la culture, les traditions et l’héritage culturel. A cette liste déjà longue et large, et dont les termes susciteront sans aucun doute des problèmes d’interprétation, l’article 70 nouveau de la Constitution ajoute toute autre question considérée comme soulevant un problème d’intérêt vital par un des « caucus » des peuples constituants de la Chambre des Peuples.

 

Cette dernière possibilité, très ouverte, semble excessive et peut conduire à de multiples blocages dans le processus de décision politique. Il semblerait opportun de s’en tenir à une liste de points, ceux-ci étant décrits en termes suffisamment larges pour assurer la protection des intérêts vitaux des divers peuples. On remarquera en outre que si les intérêts vitaux repris dans la liste peuvent concerner les minorités (les « autres »), le processus politique de détermination d’intérêts vitaux complémentaires ne bénéficie qu’aux peuples constituants et non aux « autres ».

 

11.       Il est impossible de synthétiser ici la procédure applicable lorsqu’il est fait appel à la clause d’intérêt vital, tant cette procédure est lourde et complexe. L’élément essentiel est que la Chambre des Peuples doit statuer en la matière à la majorité des membres des différents « caucus » des peuples constituants.

 

Cette majorité surqualifiée posera inévitablement problème. Alors que la Chambre des Peuples sur-représente déjà les peuples constituants les moins nombreux, l’exigence d’une majorité au sein de chaque groupe (« caucus ») représentant ces peuples constituants est difficile à justifier. En tout cas, sur le plan de l’efficacité, cette exigence de majorité par groupe est le germe à peu près certain de blocages à répétition. La volonté de protéger les peuples constituants aboutirait ainsi à un système de paralysie réciproque dont les effets à long terme peuvent être destructeurs.

 

Une seconde critique peut être adressée au mécanisme. En cas de divergence entre les deux assemblées sur la question de savoir si un projet de loi se situe dans le champ des intérêts vitaux ou si ce projet viole effectivement ces intérêts vitaux, un recours est ouvert à un panel spécial de la Cour constitutionnelle composé de sept membres et décrit plus haut (n° 8 in fine).

 

Ce panel est lui-même appelé à statuer à de majorités qualifiées, différentes selon le cas (deux tiers ou trois quarts). Qu’une Cour constitutionnelle soit appelée à trancher la question de savoir si une mesure législative projetée se situe dans le champ d’une disposition constitutionnelle, telle la clause d’intérêts vitaux, paraît bien être une question juridique relevant de l’exercice normal de l’activité juridictionnelle. Que la Cour, ou plus exactement le panel, statue sur la violation même de ces intérêts vitaux, qui ne sont aucunement définis, apparaît beaucoup plus contestable. L’activité de la Cour s’apparente si étroitement à un jugement d’opportunité politique que son crédit risque d’être vite ébranlé. L’exigence de majorité spéciales au sein même du panel de la Cour constitutionnelle ne peut que renforcer ce danger.

 

IV.       CONCLUSIONS

 

12.       Plus que d’amendements constitutionnels, il conviendrait de parler d’une véritable refondation de la Constitution de la R.S.

 

La Commission de Venise se réjouit vivement qu’un accord politique ait pu être trouvé à propos de la mise en œuvre d’une décision de la Cour constitutionnelle qui, elle-même, ébranlait profondément les structures étatiques dans les deux entités de Bosnie-Herzégovine.

 

La Commission a suivi, à un titre ou à un autre, l’ensemble du processus qui se concrétise aujourd’hui. Elle l’a toujours fait dans l’optique qui est la sienne, celle d’un expert juridique indépendant.

 

C’est dans la même perspective que le présent avis a été élaboré.

 

A de multiples reprises, il souligne les aspects très positifs des amendements constitutionnels. Ceux-ci concrétisent une volonté réelle de mettre en œuvre la décision de la Cour constitutionnelle et témoignent d’un esprit de grande ouverture.

 

Cela dit, il faut bien avouer que l’application sur le terrain des principes sous-tendant la décision de la Cour constitutionnelle n’était pas aisée et que plusieurs voies, avec chacune leurs qualités et leurs défauts, étaient ouvertes.

 

L’accord politique du 27 mars 2002 s’est fait autour de solutions aussi symétriques que possible dans les deux entités et axées sur une philosophie d’égalité entre les groupes.

 

Cette voie n’est pas sans danger, dont certains ont été soulignés par le présent avis : danger au point de vue de l’efficacité, danger aussi de consacrer, sous couleur de protéger les intérêts vitaux des peuples constituants, une sorte d’hégémonie mutuellement paralysante de ces divers groupes.

 

Toutefois, cette voie paraît défendable dans le contexte actuel de la Bosnie-Herzégovine. Elle l’est d’autant plus si elle est conçue dans une perspective dynamique de pacification et de réconciliation des diverses populations, évolution que la communauté international appelle de ses vœux.



 



[1][1] Le texte de l’article 1 soumis à l’appréciation de la Cour énonçait : « Republika Srpska shall be the State of the Serb people and of all its citizens ».

[2][2] Le texte de l’article I.1(1) soumis à l’appréciation de la Cour énonçait : « Bosniacs and Croats as constituent peoples, along with Others and Citizens of Bosnia and Herzegovina from the territories of the Federation of Bosnia and Herzegovina, in the exercise of their sovereign rights, transform their internal structure of the Federation territories, which has been defined by Annex II to the General Framework Agreement, so the Federation of Bosnia and Herzegovina is now composed of federal units with equal rights and responsabilities ».

[3][3] Toutefois, l’article 71, al. 1 et 2 garantit au moins 4 représentants à chaque peuple constituant sur un total de 83 membres.