COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME
ANCIENNE PREMIÈRE
SECTION
AFFAIRE
EGLISE METROPOLITAINE DE BESSARABIE ET AUTRES c. MOLDOVA
(Requête n° 45701/99)
ARRÊT
STRASBOURG
13 décembre 2001
Cet arrêt deviendra définitif
dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il
peut subir des retouches de forme.
En l’affaire
Église métropolitaine de Bessarabie et autres c. Moldova,
La Cour européenne
des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :
Mmes E.
Palm, présidente,
W. Thomassen,
MM. L. Ferrari Bravo,
C. Bîrsan,
J. Casadevall,
B. Zupancic,
T. Pantîru, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,
Après en avoir
délibéré en chambre du conseil les 2 octobre et 5 décembre 2001,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière
date :
PROCÉDURE
1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (n° 45701/99)
dirigée contre la République de Moldavie et dont l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie («Mitropolia Basarabiei si Exarhatul Plaiurilor») et
12 ressortissants de cet Etat, MM. Petru Paduraru, Petru
Buburuz, Vasile Petrache, Ioan Esanu, Victor Rusu, Anatol Goncear, Valeriu Cernei, Gheorghe Ionita, Valeriu Matciac, Vlad Cubreacov,
Anatol Telembici et Alexandru Magola (« les requérants »), ont saisi
la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le
3 juin 1998, en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des
Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le
requérant Vasile Petrache est décédé à l’automne 1999.
2. Les
requérants alléguaient en particulier que le refus des autorités moldaves de reconnaître l’Eglise métropolitaine de Bessarabie portait
atteinte à leur liberté de religion et d’association et que l’église requérante
était victime d’une discrimination fondée sur la religion.
3. La
requête a été transmise à la Cour le 1er
novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention
(article 5 § 2 du Protocole n° 11).
4. La
requête a été attribuée à la première section de la
Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la
chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la
Convention) a été constituée conformément à l’article
26 § 1 du règlement.
5. Par une
décision du 7 juin 2001, la chambre a déclaré la
requête recevable. Elle a également décidé de rayer la
requête du rôle pour autant qu’elle concernait le requérant Vasile Petrache, à
la suite du décès de celui-ci.
6. Tant
les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le
fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).
7. Une audience s’est
déroulée en public au Palais des Droits de l’Homme, à
Ont comparu :
– pour le Gouvernement
MM. I. Morei, ministre de la Justice,
V. Pârlog, directeur de la Direction de
l’Agent du Gouvernement et des Relations Internationales
au ministère de la Justice, agent ;
G. Armasu, directeur du Secrétariat d’Etat
chargé des questions cultuelles
auprès du Gouvernement, conseiller ;
– pour
les requérants
MM. J.W. Montgomery, avocat au barreau de Londres,
A. Dos Santos, avocat au barreau de Londres, conseils.
La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Morei et Montgomery.
8. Le 25 septembre 2001, conformément à l’article 61
§ 3 du règlement de la Cour, la présidente de la chambre a accordé à l’Eglise
métropolitaine de Moldova l’autorisation de présenter des observations écrites
sur certains aspects de l’affaire. Ces observations ont été
reçues le 10 septembre 2001.
EN FAIT
9. La première requérante, l’Église métropolitaine de
Bessarabie (« Mitropolia Basarabiei si Exarhatul Plaiurilor »),
est une église orthodoxe autonome ayant juridiction
canonique sur le territoire de la République de Moldova. Les autres requérants
sont des ressortissants moldaves, membres du conseil éparchique de la première
requérante : Petru Paduraru, archevêque de Chisinau, métropolite de
Bessarabie, résidant à Chisinau ; Petru Buburuz, prosyncelle, résidant à
Chisinau ; Ioan Esanu, protosyncelle, résidant à Calarasi ; Victor Rusu,
protopresbytre, résidant à Lipnic, Ocnita ; Anatol Goncear, prêtre,
résidant à Zubresti, Straseni ; Valeriu Cernei, prêtre, résidant à
Sloveanca, Sângerei ; Gheorghe Ionita, prêtre, résidant à Crasnoarmeisc,
Hâncesti ; Valeriu Matciac, prêtre, résidant à Chisinau ; Vlad
Cubreacov, député au Parlement moldave et à l’Assemblée Parlementaire du
Conseil de l’Europe, résidant à Chisinau ; Anatol Telembici, résidant à
Chisinau ; Alexandru Magola, chancelier de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie, résidant à Chisinau.
A. Création de
l’Eglise requérante et démarches en vue de sa reconnaissance
1. Création de l’Église
métropolitaine de Bessarabie
10. Le
14 septembre 1992, les personnes physiques requérantes s’associèrent pour créer
l’Eglise requérante, l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Il
s’agissait d’une église orthodoxe autonome locale. Selon son statut, elle
succéda sur le plan canonique à l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie qui avait existé jusqu’en 1944.
En décembre 1992,
elle fut rattachée au patriarcat de Bucarest.
11. L’Eglise
métropolitaine de Bessarabie se dota de statuts déterminant, entre autres, la
composition et l’administration de ses organes, la
formation, le recrutement et la discipline de son clergé, les distinctions
ecclésiastiques et les règles concernant ses biens. Dans le préambule, les
statuts définissent ainsi les principes d’organisation et de fonctionnement de
l’Eglise requérante :
« l’Eglise métropolitaine de Bessarabie est une Eglise
orthodoxe autonome locale rattachée au patriarcat de Bucarest. La
dénomination ecclésiastique traditionnelle « Eglise métropolitaine de
Bessarabie » a un caractère historiquement
conventionnel et n’a aucun lien avec les réalités politiques actuelles ou
passées. L’Eglise métropolitaine de Bessarabie n’a pas
d’activités politiques et n’en aura pas à l’avenir. Elle
exerce son action sur le territoire de la République de Moldova. L’Eglise
métropolitaine de Bessarabie a le rang d’exarchat du
Pays. Peuvent y adhérer également, selon le droit canonique,
des communautés de la diaspora. L’adhésion des fidèles et des communautés de
l’étranger est exclusivement bénévole.
Dans le
cadre de son activité en République de Moldova, elle respecte les lois de cet
Etat et la législation internationale en matière de droits de l’homme. Les
communautés de l’étranger qui ont adhéré du point de vue canonique à l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie, établissent des rapports avec les autorités des
Etats respectifs dans le respect de la législation de ces Etats et des
dispositions internationales en la matière. L’Eglise métropolitaine de
Bessarabie collabore avec les autorités de l’Etat en matière de culture,
d’enseignement et d’aide sociale. L’Eglise métropolitaine de Bessarabie n’a
aucune prétention d’ordre patrimonial ou autre sur d’autres Eglises ou
organisations religieuses. L’Eglise
métropolitaine de Bessarabie entretient des relations cuméniques avec les
autres Eglises et mouvements religieux et considère que
le dialogue fraternel est l’unique forme de relation entre les Eglises.
Les prêtres de l’Eglise métropolitaine
de Bessarabie qui uvrent sur le territoire moldave sont citoyens de cet Etat. Le fait d’inviter des ressortissants d’autres
Etats à venir exercer une activité religieuse en
Les membres de l’Eglise métropolitaine
de Bessarabie sont des citoyens de la République de Moldova, qui s’associent
bénévolement pour pratiquer en commun leur croyance religieuse, conformément à
leurs propres convictions, et sur la base des préceptes évangéliques, du Canon
des Apôtres, du droit canonique orthodoxe et de la Sainte Tradition.
Dans toutes les communautés de l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie, dans le cadre des services religieux, seront
dites des prières spéciales pour les autorités et les institutions de l’Etat
dans les termes suivants : « Nous prions
toujours pour notre pays, la République de Moldova, ses dirigeants et son
armée, Que Dieu les protège et leur assure une vie paisible et propre, dans le
respect des canons de l’Eglise. » »
12. A ce jour, l’Eglise métropolitaine de Bessarabie
a établi 117 communautés sur le territoire moldave, trois communautés en
Ukraine, une en Lituanie, une en Lettonie, deux dans la Fédération de Russie et
une en Estonie. Les communautés de Lettonie et de
Lituanie ont été reconnues par les autorités de ces Etats et sont dotées de la
personnalité morale.
Près d’un million de ressortissants moldaves
sont affiliés à l’Eglise requérante, laquelle compte plus de 160
ecclésiastiques.
L’Eglise métropolitaine de Bessarabie est
reconnue par tous les patriarcats orthodoxes, à l’exception du patriarcat de
Moscou.
2. Démarches administratives et judiciaires
en vue de faire reconnaître l’Eglise requérante
13. En application de la loi n° 979-XII 24 mars 1992
sur les cultes, selon laquelle les cultes pratiqués sur le territoire moldave
doivent faire l’objet d’une reconnaissance par décision du gouvernement,
l’Eglise requérante demanda le 8 octobre 1992 à être reconnue. Elle ne reçut aucune
réponse.
14. Elle réitéra sa demande les 25 janvier et 8 février 1995. A une date qui n’a pas été précisée, le secrétariat d’Etat
chargé des questions cultuelles auprès du gouvernement rejeta ces demandes.
15. Le 8
août 1995, le requérant Petru Paduraru, invoquant l’article 235 du code de
procédure civile régissant le recours judiciaire à l’encontre
d’un acte de l’administration contraire à un droit reconnu, assigna le
gouvernement devant le tribunal de première instance de l’arrondissement
Buiucani de Chisinau. Il sollicitait l’annulation des
décisions refusant de reconnaître l’Eglise requérante. Le
tribunal accueillit sa demande et rendit, le 12 septembre 1995, une
décision ordonnant la reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
16. Le 15
septembre 1995, le procureur de Buiucani introduisit un
recours contre la décision du tribunal de Buiucani du 12 septembre 1995.
17. Le
18 octobre 1995, la Cour suprême de Justice annula la décision du
12 septembre 1995, au motif que les tribunaux n’étaient pas compétents
pour examiner la demande de reconnaissance de l’Eglise requérante.
18. Le
13 mars 1996, celle-ci déposa auprès du gouvernement moldave une nouvelle
demande en reconnaissance. Le 24 mai 1996, n’ayant reçu aucune réponse,
les requérants assignèrent le Gouvernement devant le
tribunal de première instance de Chisinau, demandant la reconnaissance de
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Le tribunal
débouta les requérants par un jugement du 19 juillet 1996.
19. Le 20
août 1996, les requérants présentèrent une nouvelle demande en reconnaissance,
qui resta sans réponse.
20. Les
requérants interjetèrent appel du jugement du 19 juillet 1996 devant le tribunal municipal (Tribunalul municipiului) de
Chisinau. Par un arrêt insusceptible de recours du 21 mai 1997, ce dernier
cassa le jugement en question et accueillit la demande des requérants.
21. Toutefois,
à la suite de la réforme du système judiciaire moldave, le
dossier fut renvoyé à la cour d’appel de Moldova pour un nouvel examen
en première instance.
22. Le
4 mars 1997, les requérants adressèrent au gouvernement moldave une nouvelle
demande en reconnaissance. Le 4 juin 1997, en l’absence de réponse, ils
saisirent la cour d’appel et demandèrent à ce que l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie fût reconnue, en invoquant à l’appui de leur
demande le droit à la liberté de conscience et à la liberté d’association aux
fins de pratiquer un culte. Cette action fut jointe au dossier déjà pendant
devant cette cour.
23. Devant
la cour d’appel, le gouvernement allégua que l’affaire concernait
un conflit ecclésiastique au sein de l’Eglise orthodoxe de Moldova
(« l’Eglise métropolitaine de Moldova »), qui ne pouvait être résolu
que par les Eglises orthodoxes roumaine et russe, et qu’une éventuelle
reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie provoquerait des
conflits parmi les fidèles.
24. La
cour d’appel accueillit la demande des requérants par
une décision le 19 août 1997. Elle souligna d’abord que l’article 31 §§ 1 et 2
de la Constitution moldave garantissait la liberté de
conscience et que celle-ci devait se manifester dans un esprit de tolérance et
de respect d’autrui. De surcroît, les cultes étaient libres et pouvaient s’organiser selon leurs statuts, dans le
respect des lois de la République. La cour releva ensuite qu’à partir du 8
octobre 1992, conformément aux articles 14 et 15 de la loi sur les cultes,
l’Eglise requérante avait adressé au Gouvernement plusieurs demandes en
reconnaissance, mais que celui-ci n’y avait pas répondu. Par une lettre du
19 juillet 1995, le Premier ministre avait informé les requérants que le
Gouvernement ne pouvait examiner la demande de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie sans s’immiscer dans l’activité de l’Eglise métropolitaine de
Moldova. La cour d’appel nota ensuite qu’alors que la demande de reconnaissance
de l’Eglise requérante avait été ignorée, l’Eglise métropolitaine de Moldova
avait été reconnue par le Gouvernement le 7 février 1993, en tant
qu’éparchie relevant du patriarcat de Moscou.
La cour rejeta l’argument du Gouvernement selon lequel la
reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
La cour jugea le refus du Gouvernement de reconnaître l’Eglise
requérante contraire à la liberté de religion, telle que garantie non seulement
par la loi moldave sur les cultes, mais également par l’article 18 de la
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’article 5 du Pacte
International sur les droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que par
l’article 18 du Pacte International sur les droits civils et politiques,
auxquels la Moldova était partie. Constatant que le représentant du
Gouvernement avait considéré que le statut de l’Eglise requérante était
conforme à la législation interne, la cour obligea le Gouvernement à
reconnaître l’Eglise métropolitaine de Bessarabie et à
approuver ses statuts.
25. Le Gouvernement recourut contre cette décision,
alléguant que les tribunaux n’étaient pas compétents pour examiner une telle
action.
26. Par un arrêt du 9 décembre 1997, la Cour suprême
de justice annula la décision du 19 août 1997 et rejeta l’action des requérants
pour tardiveté et défaut manifeste de fondement.
La cour releva que, selon l’article 238 du code de procédure
civile, le recours contre une décision du Gouvernement portant atteinte à un
droit reconnu pouvait être introduit dans un délai d’un mois, délai qui
commençait à courir à partir soit de la décision de refus du Gouvernement,
soit, en cas de silence du Gouvernement, après l’expiration d’un mois suivant
le dépôt de la demande. La Cour suprême de justice releva que les requérants
avaient présenté leur demande au Gouvernement le 4 mars 1997 et leur recours le 4 juin 1997, et jugea tardive l’action en
justice des requérants.
Elle estima ensuite qu’en tous les cas, le refus du Gouvernement
d’accueillir la demande des requérants ne portait pas atteinte à leur liberté
de religion telle que garantie par les traités internationaux, et en
particulier par l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’Homme,
car les intéressés étaient des chrétiens orthodoxes et pouvaient manifester
leur croyance au sein de l’Eglise métropolitaine de Moldova, que le
Gouvernement avait reconnue par une décision du 7 février 1993.
Selon la cour, il ne s’agissait là que
d’un litige d’ordre administratif au sein d’une même Eglise, qui ne pouvait
être résolu que par l’Eglise métropolitaine de
Enfin,
elle releva que, par ailleurs, les requérants pouvaient manifester leur
croyance librement, qu’ils avaient accès à des églises, et qu’ils
n’avaient apporté aucune preuve d’un obstacle quelconque à l’exercice de leur
religion.
27. Le
15 mars 1999, les requérants adressèrent au Gouvernement une nouvelle demande
de reconnaissance.
28. Par
une lettre datée du 20 juillet 1999, le Premier ministre de Moldova leur opposa un refus. Il leur indiqua que l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie ne constituait pas un culte au sens de la loi,
mais un groupe schismatique de l’Eglise métropolitaine de Moldova.
Il les informa que le
Gouvernement ne donnerait pas de suite favorable à
cette demande avant que le conflit ne trouve une solution d’ordre religieux, à la
suite des négociations en cours entre les patriarcats russe et roumain.
29. Le
10 janvier 2000, les requérants adressèrent au Gouvernement une nouvelle
demande de reconnaissance. L’issue de celle-ci n’a pas
été communiquée à la Cour.
3. Reconnaissance
d’autres cultes
30. Depuis
l’adoption de la loi sur les cultes, le Gouvernement en a reconnu un certain
nombre, dont l’énumération ci-dessous n’est pas exhaustive.
Le
7 février 1993, le Gouvernement approuva les statuts de l’Eglise métropolitaine
de Moldova, rattachée au patriarcat de Moscou. Le
28 août 1995, il reconnut l’Éparchie
Orthodoxe du vieux rite chrétien de Chisinau, rattachée à l’Eglise Orthodoxe
russe du Vieux rite, ayant son siège à Moscou.
Le 22 juillet 1993, le Gouvernement reconnut « l’Eglise
Adventiste du septième jour ». Le 19 juillet 1994, il décida de reconnaître « l’Eglise Adventiste du
septième jour - Mouvement de réformation ».
Le 9 juin 1994, le Gouvernement approuva les statuts de la
« Fédération des communautés juives (religieuses) », et le 1er septembre 1997,
ceux de « l’Union des communautés des juifs messianiques ».
4. Réaction de différentes autorités nationales
31. Depuis sa création, l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie s’est adressée régulièrement aux autorités moldaves pour expliquer
les raisons de sa création et demander leur appui à
des fins de reconnaissance officielle.
32. Le Gouvernement demanda à
plusieurs ministères leur avis quant à la reconnaissance de l’Eglise
requérante.
Le 16 octobre 1992, le ministère de la Culture et des Affaire
Cultuelles indiqua au Gouvernement qu’il était favorable à la reconnaissance de
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
Le 14 novembre 1992,
le ministère des Finances indiqua au Gouvernement qu’il ne
voyait aucune objection à la reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie.
Le 8 février 1993, le
ministère du Travail et de la Protection sociale se
déclara favorable à la reconnaissance de l’Eglise requérante.
Par une lettre du 8
février 1993, le ministère de l’Education souligna la
nécessité d’une reconnaissance rapide de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie
afin d’éviter toute discrimination à l’égard des fidèles, tout en indiquant que
les statuts de cette Eglise pouvaient être améliorés.
Le 15 février 1993,
le secrétariat d’Etat pour la Privatisation indiqua
qu’il était favorable à la reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie, tout en proposant certaines améliorations de ses statuts.
33. Le 11
mars 1993, en réponse à une lettre de l’Evêque de Balti, au nom du métropolite
de Bessarabie, la commission des affaires culturelles et religieuses du
Parlement moldave releva que l’ajournement de l’enregistrement
de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie avait pour effet d’aggraver la
situation sociale et politique en Moldova, alors que les actions et les statuts
de cette Eglise étaient conformes aux lois moldaves. La commission demanda dès
lors au Gouvernement de reconnaître l ’Eglise requérante.
34. Une
note d’information du secrétariat d’Etat chargé des questions cultuelles auprès
du Gouvernement, datée du 21 novembre 1994, résuma ainsi la situation :
« (...)
Depuis près de deux ans, un groupe ecclésiastique connu sous
le nom d’Eglise métropolitaine de Bessarabie déploie illégalement son
activité sur le territoire moldave. Aucun résultat positif n’a
été obtenu malgré nos efforts soutenus pour mettre fin à son activité
(entretiens réunissant des membres de la soi-disant Eglise, des prêtres, MM. G.E., I.E. (...), des représentants des
pouvoirs étatiques et des croyants des localités où sont actifs ses adeptes,
avec MM. G.G., ministre d’Etat, et N.A.,
vice-président du Parlement ; tous les organes des administrations
nationales et locales ont été informés du caractère illégal du groupe, etc.).
En outre, bien que l’on ait interdit, pour non-respect des règles
canoniques, aux prêtres et aux adeptes de l’Eglise de prendre part aux offices,
ils ont néanmoins continué leurs activités illégales dans les églises et ont
aussi été invités à officier à l’occasion de diverses activités publiques
organisées, par exemple, par les ministères de la Défense et de la Santé. Les
directions de la Banque nationale et du service national des Douanes n’ont pas
réagi à notre demande tendant à obtenir la liquidation des comptes bancaires de
ce groupe et un contrôle strict de ses prêtres lors de
leurs nombreux passages à la frontière (...)
L’activité
de la soi-disant Eglise ne se limite pas uniquement à
attirer de nouveaux adeptes et à propager les idées de l’Eglise roumaine. Elle
dispose en outre de tous les moyens nécessaires au fonctionnement d’une Eglise,
elle désigne des prêtres, y compris des ressortissants d’autres Etats (...),
forme des cadres ecclésiastiques, bâtit des Eglises et beaucoup, beaucoup
d’autres choses.
Il faut
aussi mentionner que l’activité (davantage politique que religieuse) de ce
groupe est soutenue par des forces tant de l’intérieur du pays (par certains
maires et leurs villages, par des représentants de l’opposition, et même par
certains députés), que de l’extérieur (par une décision n° 612 du 12 novembre
1993, le gouvernement roumain lui a octroyé 399,4
millions de lei pour financer son activité (...).
L’activité
de ce groupe crée des tensions religieuses et
socio-politiques en Moldova, et aura des répercussions imprévisibles (...).
Le
secrétariat d’Etat chargé des affaires cultuelles constate :
a) il n’existe sur le territoire moldave aucune unité
administrative territoriale du nom de Bessarabie, permettant de justifier la
création d’un groupe religieux dénommé « l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie ». La création d’un tel groupe et la reconnaissance de ses statuts constituerait un acte antiétatique, illégitime, une négation
de l’Etat souverain et indépendant qu’est la République de Moldova ;
b)
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie a été créée en
remplacement de l’ancienne Eparchie de Bessarabie, fondée en 1925 et reconnue
par décret n° 1942 pris le 4 mai 1925 par le roi de Roumanie. La reconnaissance juridique de la validité de ces actes
signifierait la reconnaissance de leurs effets actuels sur le territoire
moldave ;
c) toutes
les paroisses orthodoxes existant sur le territoire moldave ont été
enregistrées en tant que parties constitutives de l’Eglise orthodoxe de Moldova
(l’Eglise métropolitaine de Moldova), dont les statuts ont été approuvés par le
Gouvernement dans sa décision n° 719 du 17 novembre 1993.
En
conclusion :
1. S’il
n’est pas mis fin à l’activité de la soi-disant Eglise
métropolitaine de Bessarabie, il s’ensuivra une déstabilisation non seulement
de l’Eglise orthodoxe, mais également de la société moldave toute entière.
2. La reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie (style ancien) et l’approbation de ses statuts par
le Gouvernement entraînerait automatiquement la disparition de l’Eglise
métropolitaine de Moldova. »
35. Le
20 février 1996, à la suite d’une interpellation du requérant Vlad Cubreacov,
député au Parlement moldave, l’adjoint du Premier ministre écrivit une
lettre au président du Parlement, lui expliquant les raisons du refus du
Gouvernement de reconnaître l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Il souligna
que l’Eglise requérante ne constituait pas un culte
distinct du culte orthodoxe, mais un groupe schismatique de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, et que toute ingérence de l’Etat dans la solution de
ce conflit était contraire à la Constitution moldave. Il rappela que le parti politique dont M. Cubreacov était membre avait
publiquement désapprouvé la décision du 9 décembre 1997 de la Cour suprême de
justice, que l’intéressé lui-même avait critiqué le Gouvernement pour son refus
de reconnaître cette « Eglise métropolitaine fantôme », et qu’il
continuait à soutenir cette organisation en usant de tous les moyens de
pression, à savoir des déclarations aux médias et des interventions auprès des
autorités nationales et des organisations internationales. La lettre concluait
que les « débats fébriles » autour de ce
groupe religieux avaient un caractère purement politique.
36. Le
29 juin 1998, le secrétariat d’Etat chargé de questions cultuelles communiqua à
l’adjoint du Premier ministre son avis sur la question de la
reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
Soulignant
notamment que depuis 1940, il n’existait plus en Moldova d’unité administrative
du nom de « Bessarabie », que le culte orthodoxe était reconnu
depuis le 17 novembre 1993 sous le nom de l’Eglise métropolitaine de Moldova
dont l’Eglise métropolitaine de Bessarabie était une « composante
schismatique », le secrétariat estima qu’une reconnaissance de l’Eglise
requérante représenterait une ingérence de l’Etat dans les affaires de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, qui aurait pour résultat d’aggraver la situation
« malsaine » dans laquelle se trouvait cette dernière. Quant aux
statuts de l’Eglise requérante, le service estima qu’ils ne
sauraient être approuvés, car ils ne faisaient que « reprendre ceux de
l’Eglise orthodoxe d’un autre pays ».
37. Le 22
juin 1998, le ministère de la Justice informa le Gouvernement qu’à son avis,
les statuts de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie n’enfreignaient pas les
lois de la République.
38. Par
lettres des 25 juin et 6 juillet 1998, les ministères du Travail et de la
Protection Sociale et des Finances indiquèrent de nouveau au Gouvernement
qu’ils ne voyaient pas d’objection quant à la
reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
39. Le 7
juillet 1998, le ministère de l’Education informa le
Gouvernement qu’il soutenait la reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie.
40. Le 15
septembre 1998, la commission des affaires culturelles et religieuses du
Parlement moldave adressa au Gouvernement, pour information, copie d’un rapport
du ministère de la Justice de la Fédération de Russie, dont il ressortait qu’au
1er janvier 1998, il existait en Russie au
moins quatre Eglises orthodoxes, dont certaines avaient leur siège social à
l’étranger. La commission exprima le souhait que le rapport susmentionné aidât le gouvernement moldave à résoudre certains problèmes
similaires, notamment celui concernant la demande de reconnaissance déposée par
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
41. Dans
une lettre adressée le 10 janvier 2000 au requérant Vlad Cubreacov, le
procureur général adjoint de Moldova estima que le refus du Gouvernement
de répondre à la demande de reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie était contraire à la liberté de religion et aux articles 6, 11 et 13
de la Convention.
42. Par
une décision du 26 septembre 2001, le
Gouvernement approuva la version modifiée de l’article 1 du statut de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, ainsi libellée :
« L’Eglise
orthodoxe de Moldova est une Eglise indépendante et succède en droit à (...)
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Tout en respectant les canons et les
préceptes des saints apôtres, des Pères de l’Eglise et des synodes cuméniques,
ainsi que les décisions de l’Eglise Apostolique Unique, l’Eglise orthodoxe de
Moldova déploie son activité sur le territoire de l’Etat
de la République de Moldova selon les dispositions de la législation en
vigueur. »
43. Dans
une lettre parvenue à la Cour le 21 septembre 2001, le
président de la République de Moldova exprima sa préoccupation quant à la
possibilité que l’Eglise requérante fût reconnue. Selon lui, cette question ne pouvait être résolue que dans le cadre de négociations
entre les patriarcats russe et roumain, les autorités de l’Etat ne pouvant
intervenir dans ce conflit qu’en violation des lois moldaves. En outre,
une éventuelle reconnaissance de cette Eglise par les autorités aurait des
conséquences imprévisibles pour la société moldave.
5. Réactions internationales
44. Dans son avis n° 188(1995) au Comité des
Ministres sur l’admission de la Moldova au sein du Conseil de l’Europe,
l’Assemblée Parlementaire de cette organisation prit note de la volonté de la
République de Moldova de respecter les engagements qu’elle avait contractés
lors du dépôt de sa candidature au Conseil de l’Europe le 20 avril 1993.
Parmi ces engagements, réaffirmés avant l’adoption de l’avis
susmentionné, figurait celui d’assurer « une complète liberté de religion
pour tous les citoyens sans discrimination » et « une solution
pacifique au conflit opposant l’Eglise orthodoxe moldave et
l’Eglise orthodoxe de Bessarabie ».
45. Dans son rapport annuel de 1997, la Fédération internationale d’Helsinki des Droits de l’Homme critiqua le
refus du gouvernement moldave de reconnaître l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie. Le
rapport indiquait qu’à la suite de ce refus, de nombreuses Eglises avaient été
transférées dans le patrimoine de l’Eglise métropolitaine de Moldova. Il attira
l’attention sur des allégations selon lesquelles des membres du clergé de
l’Eglise requérante avaient subi des violences physiques sans que les autorités
leur offrent la moindre protection.
46. Dans
son rapport de 1998, la Fédération susmentionnée critiqua la
loi moldave sur les cultes, et en particulier son article 4, qui déniait aux
fidèles des religions non reconnues par une décision du Gouvernement toute
protection de leur liberté de religion. Elle souligna que cet
article était un instrument discriminatoire, qui permettait au gouvernement
moldave de faire obstacle aux démarches des fidèles de l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie en vue de réclamer en justice les Eglises qui leur
appartenaient. En outre, le rapport mentionnait des actes de violence et de
vandalisme auxquels étaient soumis l’Eglise requérante
et ses membres.
B. Incidents allégués touchant l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie et ses membres
47. Les requérants font Etat d’un certain nombre
d’incidents au cours desquels des membres du clergé ou des fidèles de l’Eglise
requérante auraient été intimidés ou empêchés de manifester leur croyance.
48. Le
Gouvernement n’a pas contesté la réalité de ces incidents.
1. Incidents à
Gârbova (Ocnita)
49. En
1994, l’assemblée des chrétiens du village de Gârbova
(Ocnita) décida d’adhérer à l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Par conséquent, le métropolite de Bessarabie nomma T.B. curé de
cette paroisse.
50. Le 7
janvier 1994, lorsque T.B. se rendit à l’Eglise pour célébrer
la messe de Noël, le maire de la ville, T.G., lui interdit l’accès à
l’Eglise. Les villageois étant sortis pour protester, le maire ferma la porte de l’Eglise à clé et, sans autres explications,
somma T.B. de quitter le village dans les 24 heures.
51. Le
maire convoqua une nouvelle assemblée des chrétiens du village au 9 janvier
1994. A cette date, le maire informa les villageois que T.B. avait été
démis de ses fonctions de curé, car il appartenait à
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Il leur présenta un nouveau curé de la
paroisse, qui relevait de l’Eglise métropolitaine de Moldova. L’assemblée rejeta la proposition du maire.
52. Une
nouvelle assemblée des chrétiens du village fut fixée par le maire au 11
janvier 1994. A cette date, le maire présenta aux villageois un
troisième curé, également de l’Eglise métropolitaine de Moldova. Celui-ci ne fut pas non plus accepté par l’assemblée, qui exprima sa
préférence pour T.B.
53. Dans
ces circonstances, S.M., président du conseil
paroissial, fut convoqué par le maire et le président du kolkhoze, qui le
supplièrent de convaincre les villageois d’accepter la destitution de T.B. Le
président du conseil paroissial refusa.
54. Le
13 janvier 1994, S.M. fut arrêté alors qu’il se rendait à l’Eglise. Immobilisé par cinq policiers, il fut jeté dans une fourgonnette de
police et amené d’abord à la mairie, où il fut sauvagement battu. Il fut
ensuite placé en garde à vue au poste de Ocnita, où il se vit reprocher son
attitude favorable à l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Les motifs de son arrestation ne lui furent pas indiquées. Il fut libéré après trois jours de détention.
55. A la suite de ces incidents, T.B. quitta la
paroisse.
2. Paroisse Saint Nicolas de Falesti
56. Dans une lettre du 20 mai 1994, le vice-président
du conseil général du département (raion) de Falesti reprocha à G.E.,
curé de la paroisse de Saint Nicolas et membre de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie, d’avoir célébré, le 9 mai 1994, l’office de Pâques dans l’enceinte
du cimetière de la ville, ce qui constituait une activité contraire à la loi
sur les cultes puisque l’Eglise métropolitaine de Bessarabie était illégale.
Pour le même motif, il lui interdit à l’avenir
d’officier que ce soit à l’intérieur d’une Eglise ou à l’air libre. Quant à
l’intention de G.E. d’inviter des prêtres venus de Roumanie pour l’office du 22
mai 1994, le vice-président du conseil général l’avertit de ne pas la mettre à
l’exécution, étant donné qu’il n’avait pas obtenu au préalable l’accord des
autorités requis par l’article 22 de la loi sur les cultes.
57. En
novembre 1994, G.E. se
vit infliger une amende de 90 lei pour avoir officié en tant que prêtre
d’une Eglise non reconnue, l’Eglise métropolitaine de Bessarabie. Le tribunal de première instance confirma la peine, mais
réduisit le montant de l’amende à 54 lei, au motif que G.E. n’avait pas de
responsabilités au sein de l’Eglise susmentionnée.
58. Le 27
octobre 1996, avant le début de l’office dans l’Eglise
paroissiale, plusieurs personnes, conduites par un prêtre de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, battirent G.E. jusqu’au sang et lui demandèrent
d’adhérer à l’Eglise métropolitaine de Moldova. Ils s’en
prirent également à l’épouse du prêtre, dont ils déchirèrent les vêtements.
59. G.E.
réussit à s’échapper à l’intérieur de l’Eglise, où se déroulait l’office, mais
il fut poursuivi par ses agresseurs, qui déclenchèrent une bagarre avec
les fidèles y présents. Un policier dépêché sur
place réussit à convaincre les agresseurs de quitter l’Eglise.
60. Le 15 novembre 1996, l’assemblée paroissiale fit
publier une déclaration, dans laquelle elle exprimait son indignation devant
les actes de violence et d’intimidation auxquels
étaient soumis les membres de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie, demandait
aux autorités de ne plus cautionner ces actes et exigeait la reconnaissance
officielle de cette Eglise.
61. Le 6
juin 1998, le requérant Petru Paduraru, métropolite de Bessarabie, reçut deux
télégrammes anonymes l’avertissant de ne pas se rendre
à Falesti. Il ne déposa pas de plainte à ce sujet.
3. Eglise Saint
Alexandre, paroisse de Calarasi
62. Le
11 juillet 1994, le requérant Ioan Esanu, curé de l’Eglise Saint Alexandre, fut
convié par le président du conseil général de Calarasi à une discussion
sur l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
Participèrent
également à cette discussion le maire de la ville de
Calarasi, le secrétaire du conseil général et l’administrateur paroissial. Le
président du conseil général reprocha au requérant d’appartenir à l’Eglise
requérante et d’aller dans le sens des partisans de l’union
avec la Roumanie. Il lui donna ensuite une semaine pour
produire une attestation de reconnaissance de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie, faute de quoi il devrait quitter la paroisse.
4. Paroisse de
Cania (Cantemir)
63. Dans
une lettre du 24 novembre 1994 adressée au métropolite de Bessarabie, V.B., ressortissant roumain et curé de Cania, informa celui-ci
qu’il était soumis à une forte pression de la part des autorités du département
de Cantemir, qui lui reprochaient d’appartenir à l’Eglise requérante.
64. Le
19 janvier 1995, V.B. fut convoqué au commissariat de Cantemir, où il se vit
notifier une décision du Gouvernement annulant ses permis de séjour et
de travail et lui enjoignant de quitter le territoire moldave dans un délai de
72 heures et de remettre aux autorités compétentes les permis
susmentionnés.
5. Incidents à
Chisinau
65. Le 5
avril 1995, Vasile Petrache, curé de la paroisse de Saint Nicolas, informa le
métropolite de Bessarabie que les vitres de l’Eglise, rattachée à l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie, avaient été brisées lors d’incidents survenus au
cours des nuits du 27 mars au 28 mars et du 3 avril au 4 avril 1995.
66. Une
attaque similaire eut lieu dans la nuit du 13-14 mai 1995. Vasile Petrache
porta plainte chaque fois, demandant à la police d’intervenir afin d’éviter que
de nouvelles attaques ne se reproduisent.
67. Dans la nuit du 3 au 4 septembre
1996, une grenade fut lancée par des inconnus dans la maison du métropolite de
Bessarabie, provoquant des dégâts matériels. A ce sujet, le requérant
porta plainte au commissariat de Chisinau.
68. En
automne 1999, après le décès de Vasile Petrache, le métropolite de Bessarabie
nomma le requérant Petru Buburuz curé de la paroisse Saint Nicolas.
A
la suite de cette nomination, l’église Saint Nicolas fut occupée par des
représentants de l’Eglise métropolitaine de Moldova, qui la fermèrent à clé et
empêchèrent les fidèles de l’Eglise requérante d’y accéder. Ils
prirent aussi possession des documents et du cachet de la paroisse.
69. Le 8
décembre 1999, la police dressa un procès-verbal de contravention à l’encontre
de Petru Buburuz, au motif qu’il avait organisé, le
28 novembre 1999, une réunion publique devant l’église Saint Nicolas,
sans avoir obtenu au préalable l’autorisation exigée pour la tenue de réunions
publiques.
70. Le 28
janvier 2000, le juge S. du tribunal de première instance de Buiucani classa
l’affaire après avoir constaté que le requérant n’avait pas organisé une
réunion, mais, en sa qualité de prêtre, avait simplement célébré une messe à la
demande d’une centaine de croyants présents. Le juge constata
également que la messe s’était déroulée sur la place, car la porte de l’Eglise
était bloquée.
6. Incident à
Buiucani (Chisinau)
71. Dans
la nuit du 3 au 4 septembre 1996, une grenade fut lancée à l’intérieur de la maison de P.G., membre du clergé de l’Eglise
requérante. Le 28 septembre 1996, P.G. fut menacé par six inconnus. Il déposa aussitôt une plainte pénale à ce sujet.
72. Dans
une lettre du 22 novembre 1996 adressée au président de la République, le
ministre de l’Intérieur exprima ses regrets quant à la
lenteur des investigations menées au sujet de la plainte de P.G. et l’informa
que les policiers chargés de cette enquête avaient été, de ce fait, sanctionnés
disciplinairement.
7. Paroisse du
village d’Octombrie (Sângerei)
73. Dans
un rapport du 22 juin 1998 adressé au métropolite de Bessarabie,
l’administrateur paroissial se plaignit des agissements du prêtre M., membre de
l’Eglise métropolitaine de Moldova, qui, avec l’aide du maire de la ville de
Balti, tentait d’évincer le prêtre P.B., appartenant à l’Eglise requérante, et
obtenir la fermeture de l’église du village.
Aucune plainte ne fut
déposée auprès des autorités à ce sujet.
8. Incidents à
Cucioaia (Ghiliceni)
74. Aux
dires des requérants, le capitaine de police R., déclarant agir sur ordre de
son supérieur, le lieutenant-colonel B.D., apposa le 23 août 1999 des scellés sur
la porte de l’Eglise de Cucioaia (Ghiliceni) et interdit à V.R., prêtre de
l’Eglise requérante, qui y officiait régulièrement, d’y entrer et de continuer
à assurer le service religieux. Sur plainte des villageois, le requérant Vlad
Cubreacov écrivit le 26 août 1998 au Premier ministre pour lui demander des
explications à ce sujet.
L’incident fut
également évoqué dans le numéro du 26 août 1998 du journal « Flux ».
Le Gouvernement fait valoir qu’à la suite de cette
plainte, le ministère de l’Intérieur ordonna une
enquête. Celle-ci mit en évidence que ce n’était pas un policier, mais un
membre de l’Eglise métropolitaine de Moldova, le secrétaire
archiprêtre D.S., qui avait mis les scellés.
9. Paroisse de
Badicul Moldovenesc (Cahul)
75. Le 11
avril 1998, vers minuit, le curé de la paroisse fut réveillé par des inconnus
qui essayaient de forcer la porte du presbytère. Il
fut menacé de mort s’il ne renonçait pas à créer une
nouvelle paroisse à Cahul.
76. Le 13
avril 1998, il fut menacé de mort par le prêtre I.G.,
de l’Eglise métropolitaine de Moldova. Le même jour, il porta
plainte auprès de la police.
10. Paroisse de
Marinici (Nisporeni)
77. Après
avoir quitté l’Eglise métropolitaine de Moldova en juillet 1997, pour rejoindre
l’Eglise requérante, le curé de cette paroisse et sa famille reçurent à
plusieurs reprises des menaces de la part de différents prêtres de l’Eglise
métropolitaine de Moldova. Les vitres de sa maison furent brisées et,
le 2 février 1998, il fut agressé dans la
rue et battu par des inconnus, qui lui dirent de ne plus se mêler de « ces
choses-là ».
78. L’intéressé
consulta un médecin légiste, qui lui délivra une attestation pour les blessures
qui lui avaient été infligées. Par la suite, il porta
plainte pénale auprès de la police de Cecani.
79. Les
journaux moldaves firent régulièrement état d’incidents qualifiés d’actes
d’intimidation à l’égard du clergé et des fidèles de l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie.
11. Incident à
Floreni
80. Le 6
décembre 1998, le prêtre V.J. de l’Eglise métropolitaine de Moldova et d’autres
personnes qui l’accompagnaient forcèrent l’entrée de
l’église du village et l’occupèrent. Lorsque V.S.,
prêtre de l’Eglise requérante et curé de la paroisse, arriva à l’église pour le
service dominical, on lui en interdit l’accès. La situation ne
se débloqua que lorsque les villageois, membres de l’Eglise requérante,
arrivèrent à l’église.
12. Incident à
Leova
81. Dans
un rapport adressé au métropolite de Bessarabie le 2 février 2001, le
prêtre N.A., curé de la paroisse de Leova, déclara que
l’Eglise de Leova avait été l’objet d’actes de vandalisme, et que lui-même et
d’autres fidèles avaient été la cible d’actes d’intimidation publics et de
menaces de mort de la part de G.C., prêtre de l’Eglise métropolitaine de
Moldova. De tels actes se produisirent à plusieurs
reprises sans que la mairie n’offrît aucune protection aux paroissiens membres
de l’Eglise requérante.
C. Incidents touchant le patrimoine de l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie
1. Incident à Floreni
82. Les chrétiens du village de Floreni s’affilièrent
à l’Eglise requérante le 12 mars 1996 et constituèrent une communauté locale de
cette Eglise le 24 mars 1996. Ils firent également
bâtir aussi une chapelle pour la célébration des messes.
83. Le 29 décembre 1997, le gouvernement moldave
adopta la décision n° 1203, attribuant à l’Eglise métropolitaine de
84. A la suite de la demande de l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie, revendiquant le droit d’user dudit terrain, compte tenu de ce que
sa chapelle y était sise, le bureau national du cadastre répondit aux fidèles
de la paroisse de Floreni que « l’administration publique locale n’était
pas en mesure d’adopter une telle décision, puisque l’Eglise métropolitaine de
Bessarabie n’avant pas de personnalité juridique reconnue en Moldova ».
2. Incident relatif à un don
humanitaire de l’association américaine « Jesus Christ of Latter-Day
Saints »
85. Le 17 février 2000, le métropolite de Bessarabie
demanda à la commission gouvernementale pour l’aide humanitaire d’autoriser
l’entrée sur le territoire moldave des biens d’une valeur de 9 000 dollars
américains (USD), en provenance des Etats-Unis et de
qualifier ces biens d’aide humanitaire. Cette demande se heurta à un refus le 25 février
2000.
86. Le 25
février 2000, le requérant Vlad Cubreacov demanda à la commission de lui
communiquer les motifs du refus. Il fit valoir
que le don, envoyé par l’association « Jesus Christ of Latter-Day
Saints », consistant en des vêtements d’occasion, avait reçu de la part
des autorités ukrainiennes l’autorisation de transit en tant que don
humanitaire. Or, depuis le 18 février 2000, ces biens se trouvaient
bloqués à la douane moldave et, de ce fait, le
destinataire était obligé de payer 150 USD par jour de dépôt. Le requérant réitéra la demande visant à faire
entrer ces biens en tant que don humanitaire sur le territoire moldave.
87. Le
28 février 2000, le vice-Premier ministre de Moldova autorisa l’entrée sur le
territoire moldave de ce don humanitaire.
D. Questions relatives aux droits personnels du clergé de
l’Eglise requérante
88. Vasile
Petrache, prêtre de l’Eglise requérante, se vit refuser le droit à une pension
de retraite au motif qu’il n’était pas ministre d’un culte reconnu.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
A. La Constitution
du 29 juillet 1994
89. L’article
31 de la Constitution moldave concernant la liberté de
conscience dispose :
(1) La
liberté de conscience est garantie. Elle doit se manifester
dans un esprit de tolérance et de respect réciproque.
(2) La
liberté des cultes est garantie. Les
cultes s’organisent selon leurs propres statuts, dans le respect de la loi.
(3) Toute manifestation de discorde est interdite dans les relations entre les cultes religieux.
(4) Les cultes religieux sont
autonomes, séparés de l’Etat, et jouissent de l’appui
de ce dernier, y compris par les facilités accordées pour donner une assistance
religieuse dans l’armée, les hôpitaux, les établissements pénitentiaires, les
asiles et les orphelinats. »
B. Loi n° 979-XII du 24 mars 1992 sur les cultes
90. Les dispositions pertinentes de la loi n° 979-XII
du 24 mars 1992 sur les cultes, telle que publiée au Journal Officiel n° 3/70
de 1992, se lisent ainsi :
Article 1 - La liberté de conscience
« L’Etat garantit la liberté
de conscience et la liberté de religion sur le territoire moldave. Toute
personne a le droit de manifester sa croyance
librement, individuellement ou en association, de répandre sa croyance et
d’exercer en public ou en privé son culte, à condition que cet exercice ne soit
pas contraire à la Constitution, à la présente loi ou à la législation en
vigueur. »
Article 4 - L’intolérance confessionnelle
« L’intolérance
confessionnelle, manifestée par des actes qui gênent le libre exercice d’un
culte reconnu par l’Etat, constitue une infraction punie conformément à la
législation. »
Article 9 - La liberté d’organisation et de fonctionnement des cultes
« Les
cultes sont libres de s’organiser et de fonctionner librement à condition que
leur pratiques et rituels ne contreviennent pas à la
Constitution, à la présente loi, ou à la législation en vigueur.
Dans le
cas contraire, les cultes ne pourront pas bénéficier
d’une reconnaissance par l’Etat. »
Article 14 - La reconnaissance des cultes
« Afin de pouvoir s’organiser et fonctionner, les cultes
doivent être reconnus par une décision gouvernementale.
En cas de
non-respect par une culte des conditions exigées par le
premier alinéa de l’article 9 de la présente loi, la reconnaissance
pourra être retirée selon la même procédure. »
Article 15 - Les statuts
« Pour pouvoir être reconnu,
chaque culte présente au Gouvernement, pour examen et approbation, les statuts
régissant son organisation et son fonctionnement. Les statuts doivent contenir
des informations sur son système d’organisation et
d’administration, et sur les principes fondamentaux de ses convictions. »
Article 21 -
Associations et fondations
« Les associations et fondations qui poursuivent en tout ou partie un but
religieux, jouissent de droits religieux et sont soumises aux obligations qui
découlent de la législation en matière de cultes. »
Article 22 - Les
officiants, l’invitation et la délégation
« Les chefs
des cultes ayant rang républicain et hiérarchique (...), ainsi que l’ensemble du
personnel des cultes doivent être citoyens moldaves.
Pour embaucher des citoyens étrangers
afin de mener des activités religieuses, ainsi que déléguer des citoyens
moldaves afin de mener des activités religieuses à l’étranger, il faut dans chaque cas demander et obtenir l’accord des
autorités de l’Etat. »
Article 24 - La
personnalité morale
« Les cultes reconnus par l’Etat
sont des personnes morales (...). »
Article 35 - L’édition
et les objets de culte
« Seuls les cultes reconnus par
l’Etat et enregistrés conformément à la législation peuvent :
a) produire et
commercialiser des objets spécifiques à leur culte ;
b) fonder des
organes de presse pour les fidèles, éditer et commercialiser des livres de
culte, théologiques ou au contenu ecclésiastique, nécessaires à la pratique du
culte ;
c) établir les
tarifs pour les pèlerinages et activités touristiques dans les établissements
de culte ;
d) organiser,
sur le territoire national et à l’étranger, des expositions d’objets de culte,
y compris des expositions - ventes.
(...)
Aux fins du présent article, sont
considérés comme objets de culte : les vases liturgiques, les icônes sur
métal et lithographiées, les croix, les crucifix, le mobilier ecclésiastique,
les pendentifs en forme de croix ou les médaillons renfermant des images
religieuses propres à chaque culte, les objets religieux colportés, etc. Sont
assimilés aux objets de culte : les calendriers religieux, les cartes
postales, les dépliants, les albums d’art religieux, les films, les étiquettes
renfermant un lieu de culte ou des objets d’art religieux, à l’exception de
ceux qui font partie du patrimoine culturel national, les produits nécessaires
au culte, comme l’encens et les cierges, y compris les décorations pour les
mariages et les baptêmes, les étoffes et les broderies destinées à fabriquer
des vêtements de culte et d’autres objets nécessaires à la pratique du
culte. »
Article 44 -
L’embauche des officiants et des salariés des cultes
« Les composantes des cultes, les
institutions et les entreprises créées par les cultes peuvent embaucher du
personnel conformément à la législation du travail. »
Article 45 - Le
contrat
« L’embauche des officiants et des
salariés des cultes se fait par contrat écrit (...). »
Article 46 - Le statut
juridique
« Les officiants et les salariés
des cultes, des institutions et des entreprises créées par elles ont un statut
juridique identique à celui des salariés des organisations, institutions et
entreprises, de sorte que la législation du travail leur est applicable. »
Article 48 - Les
pensions d’Etat
« Quelles que soient les pensions attribuées par les cultes, les officiants et les
salariés des cultes reçoivent des pensions de l’Etat, conformément à la loi sur
les pensions d’Etat en
B. Le Code de
procédure civile
91. L’article
28/2 tel que modifié par la loi n° 942-XIII du 18 juillet 1996 régit ainsi la
compétence de la cour d’appel :
« 1. La cour d’appel juge en première instance les requêtes introduites
contre les organes de l’administration centrale et les responsables de ces
organes à raison d’actes contraires à la loi ou outrepassant les pouvoirs
conférés et portant atteinte aux droits des citoyens. »
92. L’article
37, sur la participation de plusieurs requérants ou défendeurs au procès, est
ainsi rédigé :
« L’action peut
être introduite par plusieurs requérants conjointement ou contre plusieurs
défendeurs. Chacun des requérants ou défendeurs agit
indépendamment des autres.
Les coparticipants peuvent désigner l’un d’entre eux pour mener
la procédure. (...) »
93. L’article 235, sur le droit à recourir contre les
actes illégaux de l’administration, est ainsi libellé :
« Toute personne physique ou
morale qui estime ses droits lésés du fait d’un acte administratif ou du refus
injustifié d’un organe administratif (...) d’examiner sa demande concernant un
droit reconnu par la loi, est en droit de s’adresser au tribunal compétent pour
obtenir l’annulation de l’acte ou la reconnaissance de son droit lésé. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE
L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
94. Les
requérants allèguent que le refus des autorités moldaves de reconnaître
l’Eglise métropolitaine de Bessarabie constitue une atteinte à leur
liberté de religion, car seuls les cultes reconnus par le gouvernement peuvent
être pratiqués sur le territoire moldave. Ils font valoir en
particulier que la liberté de manifester collectivement leur religion se trouve
entravée du fait de l’interdiction de se réunir dans un but religieux,
et du fait de l’absence de toute protection juridictionnelle du patrimoine de
l’Eglise requérante. Ils invoquent l’article 9 de la
Convention, aux termes duquel :
« 1. Toute
personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce
droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la
liberté de manifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
2. La
liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne
peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi,
constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la
sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale
publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
A. Thèses défendues devant la Cour
1. Les requérants
95. Invoquant l’affaire Manoussakis (arrêt
Manoussakis c. Grèce du 26 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1361, § 37), les requérants
allèguent que le refus de reconnaître l’Eglise requérante constitue une
atteinte à leur liberté de religion, puisque l’absence d’autorisation rend
impossible l’exercice de leur culte. Selon eux, un
Etat peut exiger une procédure d’enregistrement préalable des cultes sans pour
autant enfreindre l’article 9 de la Convention, à condition que
l’enregistrement ne devienne pas un obstacle à la liberté de religion des
croyants. Or, en l’espèce, le refus de reconnaissance
n’aurait aucun fondement acceptable dans une société démocratique. En
particulier, ils font valoir qu’aucune activité
illégale ou contraire à l’ordre public ne saurait être reprochée à l’Eglise
requérante ou à ses membres.
96. Les requérants soutiennent que, dans une société
démocratique, tout groupe de croyants s’estimant différent des autres devrait
pouvoir créer une nouvelle Eglise, et qu’il
n’appartient pas à l’Etat de déterminer s’il y a ou non une réelle distinction
entre ces différents groupes ou quelles croyances doivent être considérées
comme distinctes d’autres.
De même, l’Etat n’a pas à favoriser, par le biais de la
reconnaissance, une Eglise plutôt qu’une autre, ni censurer le nom d’une Eglise
au simple motif que celui-ci ferait référence à une période révolue de
l’histoire.
Par conséquent, en l’espèce, l’Etat moldave ne saurait décider
si l’Eglise requérante est une entité individuelle
distincte ou bien une formation au sein d’une autre Eglise.
2. Le Gouvernement
97. Le
Gouvernement admet que le droit à la liberté de religion comprend la liberté de
manifester sa religion par le culte et l’accomplissement
des rites, mais il estime qu’en l’espèce, le refus de reconnaître l’Eglise
requérante n’équivaut pas à interdire les activités de celle-ci ou de ses
membres. Ces derniers conservent leur liberté de religion, tant dans leur for
intérieur, qu’en la manifestant par le culte et
l’accomplissement des rites.
98. Par
ailleurs, le Gouvernement soutient que l’Eglise requérante, en tant qu’Eglise
chrétienne orthodoxe, ne pratique pas un nouveau culte, puisque le culte
chrétien orthodoxe a été reconnu en Moldova le
7 février 1993 en même temps que l’Eglise métropolitaine de Moldova. L’Eglise
requérante ne se différencierait en rien, du point de
vue religieux, de l’Eglise métropolitaine de Moldova.
La
création de l’Eglise requérante serait en réalité une tentative visant à créer
un nouvel organe administratif au sein de l’Eglise métropolitaine de
Moldova. Or, l’Etat ne saurait s’immiscer dans le
conflit survenu au sein de l’Eglise métropolitaine de Moldova sans enfreindre
son devoir de neutralité en matière religieuse.
A
l’audience du 2 octobre 2001, le Gouvernement a soutenu que ce conflit,
en apparence administratif, dissimulerait un conflit d’ordre politique entre la
Roumanie et la Russie ; son intervention dans ce conflit, sous la forme
d’une reconnaissance du groupe schismatique qu’est à ses yeux l’Eglise
requérante, risquerait d’être lourde de conséquences pour l’indépendance et
l’intégrité territoriale de la jeune République de Moldova.
B. Le tiers
intervenant
99. Le
tiers intervenant fait valoir que la présente requête a pour origine
un conflit d’ordre administratif au sein de l’Eglise métropolitaine de Moldova.
Il souligne que l’Eglise requérante a été créée par
des ecclésiastiques de l’Eglise métropolitaine de Moldova, qui, pour des
raisons dictées par leurs ambitions personnelles, ont décidé de se séparer de
cette Eglise. L’activité schismatique du requérant Petru Paduraru étant
contraire aux canons de l’Eglise orthodoxe russe, le patriarche de Moscou lui a interdit d’officier. Toutefois, en violation du droit
canon, et sans consulter ni le patriarcat de Moscou ni les autorités civiles
moldaves, le patriarcat de Bucarest a décidé de reconnaître
l’Eglise schismatique. Le conflit ainsi généré devrait donc être
résolu uniquement par négociations entre les patriarcats roumain et russe.
100. Le tiers intervenant souligne que l’Eglise
requérante est fondée sur des critères ethniques et que, dès lors, sa
reconnaissance par le Gouvernement non seulement constituerait une ingérence de
l’Etat dans les affaires religieuses, mais aurait également des conséquences
négatives sur la situation politique et sociale en Moldova et encouragerait les
tendances nationalistes existantes dans ce pays. De surcroît, une telle reconnaissance
porterait préjudice aux relations d’amitié entre la Moldova et l’Ukraine.
C. Appréciation
de la Cour
101. La
Cour rappelle d’emblée qu’une Eglise ou l’organe ecclésial d’une Eglise peut,
comme tel, exercer au nom de ses fidèles les droits garantis par l’article 9 de la Convention (Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France,
n° 27417/95, § 72, CEDH 2000-). En l’espèce, l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie peut donc être considérée comme requérante au sens
de l’article 34 de la Convention.
1. Sur l’existence
d’une ingérence
102. La
Cour doit donc rechercher s’il y a eu ingérence dans
le droit des requérants à la liberté de religion en raison du refus de
reconnaître l’Eglise requérante.
103. Le
Gouvernement soutient que la non-reconnaissance de l’Eglise requérante
n’empêche pas les requérants de nourrir des convictions ni de les
manifester au sein du culte chrétien orthodoxe reconnu par l’Etat, à savoir
l’Eglise métropolitaine de Moldova.
104. Les
requérants font valoir que, selon la loi moldave, seuls les cultes reconnus par
le Gouvernement peuvent être pratiqués et que, par conséquent, le refus de la
reconnaître équivaut pour l’Eglise requérante à lui interdire de fonctionner,
tant sur le plan cultuel qu’associatif. Quant aux
requérants, ils ne peuvent pas non plus exprimer leurs
convictions par leur culte, puisque seul un culte reconnu par l’Etat bénéficie
d’une protection légale.
105. La
Cour relève que, selon la loi moldave du 24 mars 1992 sur les cultes, seuls
peuvent être pratiqués les cultes reconnus par décision du gouvernement.
En l’espèce, la Cour note que, n’étant pas reconnue, l’Eglise
requérante ne peut pas déployer son activité. En particulier, ses prêtres ne peuvent pas officier, ses membres ne peuvent
pas se réunir pour pratiquer leur religion et, étant dépourvue de personnalité
morale, elle ne peut pas bénéficier de la protection juridictionnelle de son
patrimoine.
Dès lors, la Cour estime que le refus du Gouvernement moldave de
reconnaître l’Eglise requérante, confirmé par la décision de la Cour suprême de
justice du 9 décembre 1997, constitue une ingérence dans le droit de cette
Eglise et des autres requérants à la liberté de religion, telle que garantie
par l’article 9 § 1 de la Convention.
106. Pour déterminer si cette ingérence a emporté
violation de la Convention, la Cour doit rechercher si elle satisfait aux
exigences de l’article 9 § 2, c’est-à-dire si elle était « prévue par la
loi », poursuivait une but légitime au regard de cette disposition et
était « nécessaire dans une société démocratique ».
2. L’ingérence
était-elle prévue par la loi ?
107. Les
requérants admettent que l’ingérence en question était prévue par la loi n°
979-XII du 24 mars 1992 sur les cultes. Ils affirment néanmoins que la
procédure prévue par cette loi a été détournée de ses fins, car le véritable
motif du refus d’enregistrement était d’ordre politique ;
en effet, le Gouvernement n’a ni soutenu ni démontré que l’Eglise requérante
était contraire aux lois de la République.
108. Le
Gouvernement ne se prononce pas à cet égard.
109. La
Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’expression
« prévue par la loi » figurant aux articles 8 à 11 de la Convention
non seulement exige que la mesure incriminée ait une base en droit interne,
mais aussi vise la qualité de la loi en cause, qui doit être suffisamment
accessible et prévisible, c’est-à-dire énoncée avec assez de précision pour
permettre à l’individu – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de
régler sa conduite (arrêts Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril 1979,
série A n° 30, § 49, Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998, Recueil
1998- I, p. 378, § 40, Hashman et Harrup
c. Royaume-Uni [GC], n° 25594/94, § 31, CEDH 1999-, Rotaru
c. Roumanie [GC], n° 28341/95, § 52, CEDH 2000 -).
Pour
répondre à ces exigences, le droit interne doit offrir une certaine protection
contre des atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits
garantis par la Convention. Lorsqu’il s’agit de questions touchant aux droits
fondamentaux, la loi irait à l’encontre de la prééminence du droit, l’un des
principes fondamentaux d’une société démocratique consacrés par la Convention, si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne
connaissait pas de limites. En conséquence, elle doit définir
l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté
suffisante (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], n°
30985/96, § 84, CEDH 2000-).
Le niveau de
précision de la législation interne – qui ne peut en
aucun cas prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du
contenu de l’instrument en question, du domaine qu’il est censé couvrir et du
nombre et du statut de ceux à qui il est adressé (arrêts Hashman et Harrup
précité, § 31, et Groppera Radio AG et autres c. Suisse du
23 mars 1990, série A n° 173, p. 26, § 68).
110. En
l’espèce, la Cour note que l’article 14 de la loi du
24 mars 1992 exige que les cultes soient reconnus par décision du gouvernement
et que, selon l’article 9 de la même loi, ne peuvent bénéficier d’une
reconnaissance que les cultes dont les pratiques et rituels sont conformes à la
Constitution et aux lois moldaves.
Sans se prononcer
catégoriquement sur le point de savoir si les
dispositions susmentionnées répondent aux exigences de prévisibilité et de
précision, la Cour partira du principe que l’ingérence en question était
« prévue par la loi » avant de déterminer si elle poursuivait un
« but légitime » et était « nécessaire dans une société
démocratique ».
3. But légitime
111. A l’audience du 2 octobre 2001, le Gouvernement a soutenu
que son refus d’accéder à la demande de reconnaissance déposée par les
requérants tendait à la protection de l’ordre et de la sécurité publique. L’Etat
moldave, dont le territoire a oscillé au cours de
l’histoire entre la Roumanie et la Russie, a une population variée du point de
vue ethnique et linguistique. Dans ces circonstances, la jeune République de
Moldova, indépendante depuis 1991, dispose de peu d’éléments de nature à
assurer sa pérennité. Or, l’un de ces éléments est la religion. En effet, la majorité de la population est de religion chrétienne orthodoxe. Par conséquent, la reconnaissance de
l’Eglise orthodoxe de Moldova, subordonnée au patriarcat de Moscou, a permis à
toute cette population de se retrouver au sein de cette Eglise. Il se trouve que, si l’Eglise requérante était reconnue, ce lien risquerait
d’être détruit et la population chrétienne orthodoxe dispersée entre plusieurs
Eglises et d’autre part, derrière l’Eglise requérante, subordonnée au
patriarcat de Bucarest, uvreraient des forces politiques ayant partie liée avec
les intérêts roumains favorables à la réunion de la Bessarabie à la Roumanie. La reconnaissance de l’Eglise requérante raviverait donc de
vieilles rivalités russo-roumaines au sein de la population, mettant ainsi en
danger la paix sociale, voire l’intégrité territoriale de la Moldova.
112. Les
requérants contestent que la mesure litigieuse ait visé la protection de
l’ordre et de la sécurité publique. Ils alléguent que le Gouvernement
n’a pas démontré que l’Eglise requérante aurait constitué une menace pour
l’ordre et la sécurité publique.
113. La
Cour considère que les Etats disposent du pouvoir de contrôler si un mouvement ou une association poursuit, à des fins
prétendument religieuses, des activités nuisibles à la population ou à la
sécurité publique (arrêt Manoussakis précité, p. 1362, § 40; Stankov et l’Union
des Macédoniens Unis Ilinden c. Bulgarie, nos 29221/95 et
29225/95, § 84, CEDH 2001-).
Eu égard aux
circonstances de la cause, la Cour estime qu’en
l’espèce, l’ingérence incriminée poursuivait un but légitime sous l’angle de
l’article 9 § 2, à savoir la protection de l’ordre et de la sécurité
publique.
4. Nécessaire dans
une société démocratique
a) Principes
généraux
114. La
Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, telle que la protège
l’article 9, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique »
au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les
éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception
de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour
les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des
siècles – consubstantiel à pareille société.
Si
la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle
« implique » de surcroît, notamment, celle de « manifester sa
religion » individuellement et en privé, ou de manière collective, en
public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. Le témoignage,
en paroles et en actes, se trouve lié à l’existence de
convictions religieuses. Cette liberté implique, notamment,
115. La Cour a également indiqué que, dans une
société démocratique, où plusieurs religions coexistent au sein d’une même
population, il peut se révéler nécessaire d’assortir cette liberté de
limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le
respect des convictions de chacun (arrêt Kokkinakis précité, p. 18, § 33).
116. Toutefois, dans l’exercice de son pouvoir de
réglementation en la matière et dans sa relation avec
les diverses religions, cultes et croyances, l’Etat se doit d’être neutre et
impartial (arrêt Hassan et Tchaouch précité, § 78). Il y va du
maintien du pluralisme et du bon fonctionnement de la démocratie, dont l’une
des principales caractéristiques réside dans la possibilité qu’elle offre de
résoudre par le dialogue et sans recours à la violence les problèmes que
rencontre un pays, et cela même quand ils dérangent (arrêt Parti communiste
unifié de Turquie et autres c. Turquie du 30 janvier 1998, Recueil
1998-I, p. 27, § 57). Dès lors, le rôle des autorités dans ce
cas n’est pas d’enrayer la cause des tensions en éliminant le pluralisme, mais
de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre se tolèrent (arrêt Serif c.
Grèce précité, § 53).
117. La Cour rappelle aussi qu’en principe,
le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut
l’appréciation de la part de l’Etat quant à la légitimité des croyances
religieuses ou aux modalités d’expression de celles-ci. Des mesures de l’Etat
favorisant un dirigeant ou des organes d’une communauté religieuse divisée ou
visant à contraindre la communauté ou une partie de celle-ci à se placer,
contre son gré, sous une direction unique, constitueraient également une
atteinte à la liberté de religion. Dans une société démocratique, l’Etat n’a
pas besoin de prendre des mesures pour garantir que les communautés religieuses
soient ou demeurent placées sous une direction unique (arrêt Serif c. Grèce
précité, § 52). De même, lorsque l’exercice du droit à la liberté de
religion ou d’un de ses aspects est soumis, selon la loi interne, à un système
d’autorisation préalable, l’intervention dans la procédure d’octroi de
l’autorisation d’une autorité ecclésiastique reconnue ne saurait se concilier
avec les impératifs du paragraphe 2 de l’article 9 (voir, mutatis mutandis, Pentidis
et autres c. Grèce, n° 23238/94, rapport de la Commission du 27 février
1996, § 46).
118. Par ailleurs, les communautés religieuses
existant traditionnellement sous la forme de structures organisées, l’article 9
doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la
vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’Etat. Vu sous cet angle, le droit des fidèles à la liberté de religion,
qui comprend le droit de manifester sa religion collectivement, suppose que les
fidèles puissent s’associer librement, sans ingérence arbitraire de l’Etat. En
effet, l’autonomie des communautés religieuses est
indispensable au pluralisme dans une société démocratique et se trouve donc au
cur même de la protection offerte par l’article 9 (arrêt Hassan et Tchaouch
précité, § 62).
De surcroît, l’un des moyens d’exercer le droit de manifester sa
religion, surtout pour une communauté religieuse, dans sa dimension collective,
passe par la possibilité d’assurer la protection juridictionnelle de la
communauté, de ses membres et de ses biens, de sorte que l’article 9 doit
s’envisager non seulement à la lumière de l’article 11, mais également à la
lumière de l’article 6 (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Sidiropoulos et
autres c. Grèce du 10 juillet 1998, Recueil 1998-IV, p.1614, § 40 et
l’arrêt Eglise Catholique de la Canée c. Grèce du 16 décembre 1997, Recueil
1997-VIII, p. 2857, §§ 33 et 40-41 et rapport Comm., p. 2867, §§ 48-49).
119. Selon sa jurisprudence constante, la Cour
reconnaît aux Etats parties à la Convention une certaine marge d’appréciation
pour juger de l’existence et de l’étendue de la nécessité d’une ingérence, mais
elle va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur
les décisions qui l’appliquent. La tâche de la Cour consiste à rechercher si
les mesures prises au niveau national se justifient dans leur principe et sont proportionnées.
Pour délimiter l’ampleur de la marge d’appréciation en l’espèce,
la Cour doit tenir compte de l’enjeu, à savoir la nécessité de maintenir un véritable pluralisme religieux, inhérent à la notion de
société démocratique (arrêt Kokkinakis c. Grèce précité, p. 17, § 31). De même,
il convient d’accorder un grand poids à cette
nécessité lorsqu’il s’agit de déterminer, comme l’exige le paragraphe 2 de
l’article 9, si l’ingérence répond à un « besoin social impérieux »
et si elle est « proportionnée au but légitime visé » (voir, mutatis
mutandis, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Wingrove c. Royaume-Uni du
25 novembre 1996, Recueil 1996-V, p. 1956, § 53). Dans l’exercice de son
pouvoir de contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence litigieuse sur la base
de l’ensemble du dossier (arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A n° 260, p. 21, § 47).
b) Application de ces principes
120. Le Gouvernement soutient que
l’ingérence incriminée était nécessaire dans une société démocratique.
En premier lieu, la reconnaissance de l’Eglise requérante aurait signifié
l’abandon par l’Etat de sa position de neutralité à
l’égard des religions et, en particulier, des conflits religieux, abandon
contraire à la Constitution moldave et à l’ordre public moldave. C’est donc
pour respecter son devoir de neutralité que le Gouvernement a indiqué à
l’Eglise requérante de régler d’abord ses conflits
avec l’Eglise métropolitaine de
En deuxième lieu, le refus de reconnaître était selon lui
nécessaire à la sécurité nationale et à l’intégrité territoriale moldave,
compte tenu de ce que l’Eglise requérante s’adonnerait à des activités
politiques, militant pour la réunion de la Moldova à la Roumanie avec le
soutien de cette dernière. A l’appui de ses
affirmations, il mentionne des articles, parus dans la presse roumaine,
favorables à la reconnaissance par les autorités moldaves de l’Eglise
requérante et à la réunion de la Moldova à la Roumanie.
De telles activités
mettraient en danger non seulement l’intégrité de la
Moldova, mais également ses relations pacifiques avec l’Ukraine, dont une
partie du territoire actuel se trouvait, avant 1944, sous la juridiction
canonique de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
Le
Gouvernement fait également valoir également que l’Eglise requérante est
soutenue par des partis moldaves ouvertement pro-roumains, qui nient la
spécificité moldave, parfois même lors de débats au Parlement, ce qui
déstabilise l’Etat moldave. A cet égard, il mentionne l’Alliance
chrétienne pour la réunification de la Roumanie, créée le 1er
janvier 1993, dont font partie plusieurs associations et un parti politique
représenté au Parlement, le Front populaire chrétien et démocrate, qui aurait
salué la réapparition de l’Eglise métropolitaine de Bessarabie.
En
troisième lieu, la non-reconnaissance de l’Eglise requérante était selon lui
nécessaire pour préserver la paix sociale et l’entente entre les
croyants. En effet, l’attitude belliqueuse de l’Eglise requérante, qui vise à
attirer les autres orthodoxes et à phagocyter les autres Eglises, a entraîné un certain nombre d’incidents, qui auraient pu,
sans l’intervention de la police, faire des victimes.
Enfin, le
Gouvernement souligne que, même si elles n’ont pas
reconnu l’Eglise requérante, les autorités moldaves agissent dans un esprit de
tolérance et permettent à celle-ci et à ses membres de continuer leurs activités
sans entrave.
121. Les
requérants considèrent que le refus de reconnaître l’Eglise
métropolitaine de Bessarabie n’était pas nécessaire dans une société
démocratique. Ils font valoir que tous les arguments avancés par le
Gouvernement sont dénués de fondement et non prouvés et ne
correspondent pas à la notion de « besoin social impérieux ». Il ne ressort d’aucun élément du dossier que les requérants
aient voulu ou aient mené ou voulu mener des activités susceptibles de porter
atteinte à l’intégrité territoriale, à la sécurité nationale ou à l’ordre
public moldaves.
Ils allèguent qu’en
leur refusant une reconnaissance, alors qu’il avait
reconnu d’autres Eglises orthodoxes, le gouvernement a failli à son devoir de
neutralité et ce, pour des motifs fantaisistes.
La non-reconnaissance
a mis les membres de l’Eglise requérante dans l’impossibilité de pratiquer leur
culte car, selon la loi sur les cultes, les activités propres à un culte et la liberté d’association dans un but religieux ne peuvent
être exercés que par un culte reconnu par l’Etat. De même, l’Etat n’offre sa protection qu’aux seuls cultes reconnus et seuls
ceux-ci peuvent faire défendre leurs droits en justice. Par
conséquent, le clergé et les membres de l’Eglise requérante n’ont pas pu se défendre
contre les agressions physiques et les persécutions dont ils ont été
victimes, et l’Eglise requérante n’a pas pu protéger ses biens.
Les requérants
contestent que l’Etat ait toléré l’Eglise requérante et
ses membres. Ils allèguent qu’au contraire, non
seulement les agents de l’Etat ont permis des actes d’intimidation dont les
membres de l’Eglise requérante ont été victimes de la part d’autres croyants
mais de surcroît, dans un certain nombre de cas, les agents de l’Etat ont
participé à de tels actes.
122. La Cour examinera
successivement les motifs invoqués par le gouvernement défendeur pour justifier
l’ingérence puis la proportionnalité de cette ingérence aux buts poursuivis.
i) Motifs invoqués pour
justifier l’ingérence
*) Défense de la légalité et des principes
constitutionnels de la Moldova
123. La
Cour relève que la Constitution moldave, dans son article 31, garantit la
liberté de religion et énonce le principe de
l’autonomie des cultes à l’égard de l’Etat, et que la loi du 24 mars 1992 sur
les cultes instaure une procédure de reconnaissance des cultes.
Le Gouvernement
soutient que c’est pour respecter ces principes, y compris son devoir de
neutralité à l’égard des cultes, que l’Eglise requérante n’a pas été reconnue,
mais qu’il lui a été indiqué de résoudre au préalable
ses conflits avec l’Eglise déjà reconnue dont elle voulait se séparer, à
savoir, l’Eglise métropolitaine de Moldova.
La
Cour note tout d’abord que l’Eglise requérante a déposé une première
demande de reconnaissance le 8 octobre 1992, restée sans réponse, et que ce
n’est qu’à une date ultérieure, le 7 février 1993, que l’Etat a reconnu
l’Eglise métropolitaine de Moldova. Dans ces conditions, la Cour comprend mal,
du moins pour ce qui est de la période précédant la reconnaissance de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, l’argument du Gouvernement selon lequel
l’Eglise requérante ne serait qu’un groupe schismatique par rapport à
l’Eglise métropolitaine de Moldova, reconnue.
En
tout état de cause, la Cour rappelle que le devoir de neutralité et
d’impartialité de l’Etat, tel que défini dans sa
jurisprudence, est incompatible avec un quelconque pouvoir d’appréciation de la
part de l’Etat quant à la légitimité des croyances religieuses, et que ce
devoir impose à celui-ci de s’assurer que des groupes opposés l’un à l’autre,
fussent-ils issus d’un même groupe, se tolèrent. En l’espèce, la Cour estime
qu’en considérant que l’Eglise requérante ne
représentait pas un nouveau culte et en faisant dépendre sa reconnaissance de
la volonté d’une autorité ecclésiastique reconnue, l’Eglise métropolitaine de
Moldova, le Gouvernement a manqué à son devoir de neutralité et d’impartialité.
Dès lors, il y a lieu de rejeter l’argument de
celui-ci selon lequel le refus de reconnaissance était nécessaire à la défense
de la légalité et de la Constitution moldave.
*)
Atteinte à l’intégrité territoriale
124. La
Cour note en premier lieu que dans son statut et, en particulier, dans le
préambule à celui-ci, l’Eglise requérante se définit comme une Eglise autonome locale, agissant sur le territoire moldave dans le
respect des lois de cet Etat, dont la dénomination a un caractère historique,
sans aucun lien avec les réalités politiques actuelles ou passées. Ayant une activité principalement religieuse, l’Eglise requérante
se dit prête à collaborer avec l’Etat également en matière de culture, d’enseignement
ou d’assistance sociale. Elle déclare aussi n’avoir aucune activité d’ordre
politique.
De tels principes
paraissent à la Cour clairs et parfaitement légitimes.
125. A l’audience du 2 octobre 2001, le Gouvernement a néanmoins
soutenu qu’en réalité, l’Eglise requérante menait des activités politiques
contraires à l’ordre public moldave et que, si elle était reconnue, de telles
activités mettraient en danger l’intégrité territoriale moldave.
La Cour rappelle que,
si l’on ne peut exclure que le programme d’une
organisation cache des objectifs et intentions différents de ceux qu’elle affiche
publiquement, elle doit, pour s’en assurer, comparer le contenu dudit programme
avec les actes et prises de position de son titulaire (arrêt Sidiropoulos et
autres précité, p. 1618, § 46). En l’espèce, elle note qu’aucun élément du
dossier ne lui permet de conclure que l’Eglise
requérante mènerait des activités autres que celles déclarées dans son statut.
Quant aux articles de
presse susmentionnés, bien que leur contenu, tel que décrit par le
Gouvernement, révèle des idées favorables à une éventuelle réunion de la
Moldova à la Roumanie, ils ne sauraient être imputés à
l’Eglise requérante. De plus, le Gouvernement n’a pas
prétendu que l’Eglise requérante avait inspiré de tels articles.
De même, en l’absence de tout élément de preuve, la Cour ne saurait
conclure que l’Eglise requérante se trouve liée aux activités politiques des
organisations moldaves susmentionnées (paragraphe 120 ci-dessus), qui
militeraient pour la réunion de la Moldova à la Roumanie. Elle
note d’ailleurs, que le Gouvernement n’a pas soutenu que l’activité de ces
associations ou partis politiques était illégale.
Quant à l’éventualité que l’Eglise
requérante constituerait, une fois reconnue, un risque pour la sécurité
nationale et l’intégrité territoriale, la Cour estime qu’il s’agit là d’une
simple hypothèse qui, en l’absence d’autres éléments concrets, ne saurait
justifier un refus de la reconnaître.
*) Défense de la
paix sociale et de l’entente entre les croyants
126. La
Cour relève que le Gouvernement ne conteste pas que
des incidents aient eu lieu à l’occasion de réunions de fidèles et de membres
du clergé de l’Eglise requérante (paragraphes 47 à 87 ci-dessus). En particulier, des conflits se sont produits lorsque des prêtres
appartenant à l’Eglise requérante ont voulu célébrer des messes dans des lieux
de culte dont les fidèles et le clergé de l’Eglise métropolitaine de Moldova
revendiquaient l’usage exclusif, ou bien dans des localités où certaines
personnes s’opposaient à la présence de l’Eglise requérante, en la considérant
comme illégale.
En revanche,
la Cour note qu’il existe certaines divergences entre les requérants et le Gouvernement quant au déroulement de ces incidents.
127. Sans prendre
position quant à la manière exacte dont se sont passés ces événements, la Cour
relève que la non-reconnaissance de l’Eglise requérante a joué un rôle dans les incidents survenus.
ii) Proportionnalité aux buts
poursuivis
128. Le Gouvernement soutient que, bien que n’ayant
pas reconnu l’Eglise requérante, les autorités agissent dans un
esprit de tolérance et lui permettent de continuer ses activités sans entrave.
Les membres de cette Eglise peuvent notamment se réunir, prier ensemble et gérer des biens. Il en veut pour
preuve les nombreuses activités de l’Eglise requérante.
129. La Cour relève que, selon la loi n° 979-XII du
24 mars 1992, seuls les cultes reconnus par une décision du gouvernement
peuvent être pratiqués sur le territoire moldave. En particulier, seul un culte reconnu est doté de la personnalité morale (article
24), peut produire et commercialiser des objets spécifiques de culte (article
35) et peut embaucher des officiants et salariés (article 44). De surcroît, les
associations poursuivant en tout ou en partie un but
religieux sont soumises aux obligations qui découlent de la législation en
matière des cultes (article 21).
Dans ces circonstances, la Cour note
qu’en l’absence de reconnaissance, l’Eglise requérante ne peut ni s’organiser,
ni fonctionner. Privée de personnalité morale, elle ne peut pas ester en
justice pour protéger son patrimoine, indispensable à l’exercice du culte,
tandis que ses membres ne peuvent se réunir pour poursuivre des activités
religieuses sans enfreindre la législation sur les cultes.
Quant à la tolérance dont ferait preuve le Gouvernement à
l’égard de l’Eglise requérante et de ses membres, la
Cour ne saurait considérer une telle tolérance comme un substitut à la
reconnaissance, seule cette dernière étant susceptible de conférer des droits
aux intéressés.
Par ailleurs, elle relève qu’à certaines occasions les
requérants n’ont pas pu se défendre contre des actes
d’intimidation, les autorités prétextant que seules des activités légales
pourraient bénéficier de la protection de la loi (paragraphes 56, 57 et 84
ci-dessus).
Enfin, elle note que les autorités, lorsqu’elles ont reconnu
d’autres associations cultuelles, n’avaient pas invoqué alors les critères
qu’elles ont utilisés pour refuser la reconnaissance de l’Eglise requérante, et
qu’aucune justification n’a été avancée par le gouvernement moldave pour cette
différence de traitement.
130. En conclusion, la Cour estime que le refus de
reconnaître l’Eglise requérante a de telles conséquences sur la liberté
religieuse des requérants qu’il ne saurait passer pour proportionné au but
légitime poursuivi ni, partant, pour nécessaire dans une société démocratique
et qu’il y a eu violation de l’article 9.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE
L’ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION
131. L’Eglise
requérante se prétend aussi victime d’une discrimination, eu égard au refus
injustifié du Gouvernement de la reconnaître, alors qu’il a reconnu,
d’une part, d’autres Eglises orthodoxes et, d’autre part, plusieurs
associations au sein d’un même culte. Elle invoque l’article 14 de la
Convention, libellé comme suit :
« La
jouissance des droits et libertés reconnus dans la
(...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment
sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions
politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute
autre situation. »
132. Selon
le Gouvernement, le culte chrétien orthodoxe ayant été reconnu par le biais de l’Eglise métropolitaine de Moldova, aucun
motif ne justifiait de reconnaître également l’Eglise requérante, qui se
réclame, elle aussi du culte chrétien orthodoxe. L’Eglise requérante n’est pas
un nouveau culte, mais une formation schismatique dont les croyances et rites ne se distinguent en rien de ceux de l’Eglise métropolitaine
de Moldova. Le Gouvernement admet que l’Eparchie Orthodoxe du Vieux rite de
Chisinau, rattachée à l’Eglise Orthodoxe russe du Vieux rite dont le siège est
à Moscou, a été reconnue bien qu’elle ne soit pas un
nouveau culte, mais il considère que la différence de traitement est fondée sur
un critère ethnique. En effet, les fidèles et le clergé de
l’Eparchie orthodoxe de Chisinau sont tous d’origine russe.
133. Les
requérants estiment que le motif opposé à l’Eglise
requérante pour refuser de la reconnaître n’était ni raisonnable ni objectif,
puisque, dans la reconnaissance des autres cultes, le Gouvernement n’a pas posé
comme critères l’origine ethnique des croyants ou la nouveauté du culte. A
titre d’exemple, les requérants font valoir que le Gouvernement a reconnu deux
Eglises adventistes et deux associations juives, qui ne
sont pas organisées selon des critères ethniques.
134. La
Cour considère que les allégations ayant trait à l’article 14 s’analysent en
une répétition de celles présentées sur le terrain de l’article 9. Dès lors, il n’y a pas lieu de les examiner séparément.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE
L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION
135. Les
requérants font valoir qu’il y a eu violation de
l’article 13 de la Convention en ce que le droit interne n’offre aucune voie de
recours pour redresser les griefs qu’ils exposent devant la Cour.
136. Le
Gouvernement soutient qu’en l’espèce, s’agissant de griefs de caractère civil,
les exigences de l’article 13 s’effacent devant celles de l’article 6 de
la Convention.
137. La
Cour rappelle que l’article 13 a pour conséquence
d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à
connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le
redressement approprié, même si les Etats contractants jouissent d’une certaine
marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que
leur fait cette disposition (arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996,
Recueil 1996-V, pp. 1869-1870, § 145). Le recours
exigé par l’article 13 doit être « effectif », en pratique comme en
droit. Toutefois, un tel recours n’est requis
que pour les griefs pouvant passer pour « défendables » au regard de
la Convention.
138. La
Cour observe que le grief des requérants, selon lequel le refus de reconnaître l’Eglise requérante a emporté violation de leur
droit à la liberté de religion garanti par l’article 9 de la Convention
revêtait sans conteste un caractère défendable (paragraphe 130 ci-dessus). Les requérants étaient donc en droit de bénéficier d’un recours
interne effectif au sens de l’article 13. La Cour examinera par
conséquent si l’Eglise requérante et les autres
requérants ont disposé d’un tel recours.
139. Elle
constate que, dans son arrêt du 9 décembre 1997, la Cour suprême de justice a
jugé que le refus du Gouvernement de répondre à la demande de reconnaissance
présentée par l’Eglise requérante n’était pas illégal et qu’il n’était pas non
plus contraire à l’article 9 de la Convention, puisque
les requérants pouvaient manifester leur religion au sein de l’Eglise
métropolitaine de Moldova. Toutefois, ce faisant, la Cour
suprême de justice n’a pas répondu aux griefs principaux soulevés par les
requérants, à savoir leur souhait de se réunir et de manifester leur
religion collectivement au sein d’une Eglise distincte de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, et de bénéficier du droit à un tribunal pour
défendre leurs droits et protéger leurs biens, étant donné que seuls les cultes
reconnus par l’Etat bénéficient d’une protection légale. Dès lors, n’étant pas reconnue par l’Etat, l’Eglise métropolitaine
de Bessarabie n’avait pas de droits à faire valoir devant la Cour suprême de
justice.
Partant, le recours devant la Cour suprême de
justice fondé sur l’article 235 du code de procédure civile n’était pas
effectif.
140. Par ailleurs, la Cour relève que la loi du 24
mars 1992 sur les cultes, si elle érige la reconnaissance par le Gouvernement
et l’obligation de respecter les lois de la République en condition au
fonctionnement d’un culte, ne comporte pas de disposition spécifique
réglementant la procédure de reconnaissance et prévoyant les recours
disponibles en cas de litige.
Le Gouvernement ne fait Etat d’aucun autre recours que les
requérants auraient pu exercer.
Dès lors, la Cour estime que les requérants
n’ont pas été en mesure d’obtenir le redressement devant une instance nationale
de leur grief relatif à leur droit à la liberté de religion. Partant, il y a
eu violation de l’article 13 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES
ARTICLES 6 ET 11 DE LA CONVENTION
141. Les
requérants se plaignent également de ce que le refus
de reconnaître l’Eglise requérante empêche celle-ci d’obtenir la personnalité
juridique, la privant ainsi de son droit d’accès à un tribunal garanti par
l’article 6 afin de faire trancher tout grief relatif à ses droits, en
particulier ses droits de propriété. Ils allèguent de
surcroît que ce refus, combiné avec l’obstination des autorités à considérer
que les requérants peuvent pratiquer leur religion au sein de l’Eglise
métropolitaine de Moldova, porte atteinte à leur liberté d’association, au
mépris de l’article 11 de la Convention.
142. Ayant
pris en compte ces articles dans le contexte de l’article 9 (paragraphes 118 et
129 ci-dessus), la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de les examiner
séparément.
V. SUR
L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
143. Aux
termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention
ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne
permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour
accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
144. Les
requérants ne réclament pas de somme au titre de dommage matériel, mais
réclament en revanche 160 000 francs français (FRF) en
réparation du préjudice moral.
145. Le Gouvernement ne
se prononce pas à cet égard.
146. La
Cour considère que les violations constatées ont indéniablement dû causer aux requérants un préjudice moral qu’elle évalue, en équité, à
la somme de 20 000 euros.
B. Frais et
dépens
147. Ayant
reçu du Conseil de l’Europe 7937,10 FRF au titre de l’assistance
judiciaire pour la comparution du requérant Vlad Cubreacov à l’audience devant la Cour, les requérants ne sollicitent que le
remboursement de leurs frais d’avocat exposés au cours de la procédure devant
la Cour, à savoir 8 693,89 FRF et 3 550 livres sterling
(GBP), correspondant respectivement aux honoraires afférents à la prise en
charge et la préparation de la requête par l’avocat moldave, et à ceux des
conseils britanniques relatifs à la défense des requérants dans la présente
procédure et à la comparution à l’audience de la Cour.
148. Le
Gouvernement ne se prononce pas à ce sujet.
149. Compte
tenu des justificatifs fournis par les requérants, et statuant en équité, la
Cour octroie aux requérants la somme de
7 025 euros pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû
au titre de la taxe sur la valeur ajoutée.
C. Intérêts
moratoires
150. Selon
les informations dont dispose la Cour, le taux d’intérêt
légal applicable en France à la date d’adoption du présent arrêt était
de 4,26 % l’an.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À l’UNANIMITÉ,
1. Dit
qu’il y a eu violation de l’article 9 de la
Convention ;
2. Dit
qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire également
sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 9 de la Convention.
3. Dit
qu’il y a eu violation de l’article 13 de la
Convention ;
4. Dit qu’il n’est pas
nécessaire de statuer sur l’existence d’une violation des articles 6 et 11 de
la Convention ;
5. Dit
a) que l’Etat
défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter
du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2
de la Convention, les sommes suivantes :
i. 20 000 (vingt mille) euros, à
convertir en lei moldaves au taux applicable à la date du règlement, pour
dommage moral;
ii. 7 025 (sept
mille vingt-cinq) euros, pour frais et dépens, plus tout montant
pouvant être dû au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ;
b) que
ces montants seront à majorer d’un intérêt simple de 4,26 % l’an à compter
de l’expiration dudit délai et jusqu’au
versement ;
6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction
équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 décembre 2001
en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Michael O’Boyle Elisabeth Palm
Greffier Présidente